Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
659
NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

qu’il présente sur « l’origine des espèces, » s’il ne s’enfermait pas dans les étroites limites de l’école anglaise, et consentait à admettre qu’outre les changemens imperceptibles qui effleurent seulement en quelque sorte le monde physique, de violentes révolutions ont de temps à autre altéré la physionomie de la surface terrestre. Pourquoi vouloir nier qu’au moment où nos grandes chaînes de montagnes ont été soulevées avec une violence dont nous retrouvons la trace dans l’âpreté des accidens qui les sillonnent, d’immenses volumes d’eau ont été lancés sur les continens voisins, les pièces de la mosaïque terrestre ont joué de toutes parts, des îles ont été ensevelies, comme l’Atlantide, au sein des mers, d’autres ont surgi à de nouvelles places ? Des êtres nombreux ont survécu à ces cataclysmes, dont les effets les plus terribles ont été circonscrits sur une partie assez étroite du globe terrestre ; mais combien d’entre eux, dépaysés, violemment arrachés aux conditions qui depuis tant de siècles présidaient au développement régulier et invariable des organismes, ont pu servir dans leurs nouvelles stations de point de départ à de nouvelles races ! Une telle hypothèse n’a vraiment rien de trop hardi.

Il a été mis hors de doute que, contrairement aux assertions absolues de deux célèbres naturalistes, Alcide d’Orbigny et Agassiz, les êtres vivans n’ont été victimes d’une destruction simultanée à aucune époque de l’histoire de la terre ; jamais la mort n’a dévasté la planète entière. En examinant la série des couches qui appartiennent à deux terrains géologiques successifs, nous retrouvons toujours quelques espèces identiques dans les sédimens qui ont été déposés avant une grande révolution terrestre et dans ceux qui l’ont suivie : tous les feuillets de ce grand livre ont des lettres communes. Je ne me suis jamais arrêté devant le Déluge du Poussin, je n’ai jamais contemplé ce ciel noir, ces rochers à peine émergés, ces animaux qui luttent encore contre le flot qui monte, sans agrandir encore dans mon esprit le cadre de cette œuvre admirable. À côté de ces scènes d’horreur et de mort, je me figurais les terres sortant tout humides et ruisselantes du sein des eaux, prêtes à être fécondées, et je songeais, malgré moi, au mythe charmant de Vénus aphrodite s’élevant de l’Océan dans la crête écumante d’un flot. Je me rappelais les traditions étranges des Indiens de l’Amérique et de tant d’autres peuplades sauvages, la fuite dans les cavernes des hautes montagnes pendant que la mer s’élevait, les nombreux déluges dont font mention les livres saints des Hindous, toujours suivis d’une incarnation nouvelle de la Divinité, symbole des formes sous lesquelles la vie étalait ses splendeurs renaissantes sur le théâtre rajeuni de la terre ; je revoyais enfin l’arche arrêtée au sommet de l’Ararat, d’où sortaient les légions des couples destinés à repeupler le royaume de l’homme. Pourquoi la géologie dédaignerait-elle ces