Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
658
REVUE DES DEUX MONDES.

lant silencieusement et insensiblement, partout où s’offre une occasion favorable, à perfectionner les êtres et à les mettre mieux en harmonie avec les conditions organiques et inorganiques de l’existence. Ces changemens graduels ne nous sont révélés que lorsque la main du temps a marqué un long laps d’années, et le tableau des âges géologiques écoulés arrive à nos yeux si effacé qu’il nous apprend seulement que la vie a revêtu jadis d’autres formes qu’aujourd’hui. »

L’idée originale de M. Darwin consiste, on le voit, à expliquer par la sélection naturelle toute l’histoire de la création : il reste à discuter les objections que soulève la théorie qui vient d’être exposée, ainsi qu’à en tirer toutes les conséquences relatives au problème de l’origine des races humaines et au rôle qui leur est attribué dans le monde organique.


II


M. Darwin, comme tous les naturalistes, a été frappé de la corrélation exacte qui s’établit dans le monde entre les êtres organisés et le monde inorganique. Toutes les circonstances extérieures, les variations du climat, de la température, les limites qui s’opposent aux envahissemens où aux grandes migrations des espèces, telles que la mer autour d’une île, les hautes chaînes de montagnes sur les continens, tout ce qui en un mot tend à circonscrire une province naturelle tend également à imprimer des caractères originaux à la faune et à la flore qu’elle nourrit. Plus la station est isolée, plus ces caractères se spécifient avec netteté. C’est pour cela que les îles en général offrent un si curieux champ d’études aux naturalistes.

Les provinces géographiques une fois délimitées, les continens découpés par les mers en lignes à peu près invariables, les animaux et les végétaux adaptés à tout ce qui les entoure, on ne voit pas pourquoi le monde organique subirait de nouvelles métamorphoses, tant que le monde physique reste dans le repos. Si la surface de notre planète ne peut être modifiée que par les forces sans cesse agissantes autour de nous, la pluie, les vents, les éruptions volcaniques, les tremblemens de terre, si ces forces ne peuvent entrer en jeu avec plus de violence et de furie que dans le temps présent, on a peine à comprendre comment l’équilibre de la création pourrait en être profondément troublé. M. Darwin est pourtant l’un des adeptes de cette école qui a pour chef aujourd’hui sir Charles Lyell, et qui se refuse a reconnaître dans l’histoire du monde des élémens perturbateurs différens de ceux qu’elle nomme les causes actuelles. M. Darwin ajouterait, ce nous semble, beaucoup de force à la théorie