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NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

espèce ? Pourquoi certaines espèces se marieraient-elles facilement, tout en ayant des hybrides très stériles, et d’autres avec une très grande difficulté, tout en donnant des hybrides suffisamment féconds ? Pourquoi y aurait-il souvent une différence si notable entre les résultats des croisemens réciproques entre deux espèces ? pourquoi, peut-on même demander, la production des hybrides a-t-elle été autorisée ? Permettre que l’espèce puisse engendrer des hybrides, puis en arrêter la propagation ultérieure par des degrés variables de stérilité, qui ne sont pas exactement en rapport avec la facilité de la première union entre les parens, constitue, ce nous semble, un bien étrange arrangement. »

La fécondité des métis, qui proviennent du mariage, non plus d’espèces différentes, mais de simples variétés de la même espèce, est soumise à des irrégularités tout aussi extraordinaires que celle des hybrides proprement dits. Le nombre de ces anomalies serait sans doute beaucoup plus frappant si les botanistes ne s’empressaient de ranger dans des espèces différentes deux plantes, considérées d’abord comme de simples variétés, aussitôt qu’ils ont constaté qu’elles se stérilisent mutuellement. On tourne ainsi dans un véritable cercle vicieux ; mais voici pourtant quelques observations placées à l’abri de toute critique. On a constaté que dans une même espèce certaines variétés se marient plus volontiers que d’autres avec des plantes étrangères et donnent plus facilement des hybrides. Ainsi le chien aux oreilles et au museau pointus qu’on nomme en Allemagne spitz s’unit plus volontiers au renard que tous les autres chiens. Il y a dans l’Amérique du Sud des races de chiens qui ne s’accouplent pas avec des chiens d’Europe. Gärtner a observé que des variétés particulières de maïs se fécondent très difficilement entre elles, bien qu’elles se distinguent à peine par les caractères externes ; il a vu aussi les deux variétés blanche et jaune d’une même espèce de verbascum donner par le croisement beaucoup moins de graine que lorsque chacune d’elles était fertilisée par son pollen particulier. Suivant Kölreuter, il y a un tabac qui se marie plus aisément à d’autres plantes que tous les autres.

Que devons-nous conclure de tous ces faits ? C’est que la fécondité et la stérilité variables des hybrides et des métis tiennent à une multitude de circonstances encore obscures, dont l’étude réclame le zèle des plus patiens et des plus habiles observateurs. On peut même, sans trop s’aventurer, affirmer que la connaissance en restera toujours incomplète, parce qu’il n’est aucun phénomène qui échappe aussi bien à l’analyse que celui de la génération. La nature l’a couvert de ses voiles les plus épais ; c’est l’éternel secret du grand Pan, que tout œil, toute bouche, que la pensée même doit respecter. La