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pèces de bœufs, de moutons, de chiens sauvages dans l’Europe entière et même dans la Grande-Bretagne. » C’est là une exagération ridicule ; pour s’en convaincre, il suffit d’examiner la liste des mammifères européens qui ne sont pas à l’état domestique ; l’Angleterre ne peut en revendiquer qu’un en propre, la France en a peu qui diffèrent de ceux de l’Allemagne ; la Hongrie, l’Espagne, l’Italie, ne sont guère plus riches.

Il y a peu d’espèces domestiques qui offrent autant de races, et des races aussi dissemblables, que le chien. Les termes extrêmes sont assez différens pour que M. Darwin lui-même admette qu’il a dû y avoir plusieurs types primitifs ; mais ne faut-il pas penser avec lui qu’un très grand nombre de variétés sont simplement dues à l’hérédité de certains caractères de mieux en mieux dessinés parmi les descendans d’une même lignée ? « Qui pourra croire, dit-il avec infiniment de raison, que des animaux très semblables au lévrier d’Italie, au bouledogue, à l’épagneul de Blenheim, animaux si différens des canidés sauvages, aient jamais existé à l’état de liberté dans la nature ? On a souvent dit, un peu légèrement, que toutes nos races de chiens ont été produites par le croisement d’un petit nombre d’espèces aborigènes ; mais nous ne pouvons par le croisement obtenir que des formes intermédiaires en quelque façon entre celles même des parens. Si donc nous nous rendons compte de nos races domestiques par ce moyen, il faut admettre l’existence préalable, à l’état sauvage, des formes les plus exagérées, telles que celles du lévrier d’Italie, du bouledogue, etc. Au reste, la possibilité de créer des races bien distinctes par le croisement a été singulièrement exagérée. Il n’y a pas de doute qu’une race puisse à l’occasion recevoir quelque modification par des croisemens ; mais il faut opérer soigneusement la sélection des métis qui présentent les caractères que l’on recherche. » Le croisement sans la sélection ne fournit que des produits hétérogènes, sans aucune fixité ; la sélection seule donne aux types organiques l’uniformité et la permanence ; application la plus intelligente du grand principe de l’hérédité naturelle, elle a pour effet de subdiviser les espèces en variétés de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux définies. Les différences qui servent à classer les races peuvent-elles, à la longue, devenir assez profondes pour qu’il soit impossible d’en distinguer les caractères de ceux qu’on nomme, à proprement parler, spécifiques ? Si l’on répond à cette question par l’affirmative, la ligne qui sépare la simple variété de l’espèce n’est plus infranchissable : c’est une barrière qui s’élève et s’abaisse au gré de mille circonstances extérieures, mais peut finir par s’effacer. Peu de zoologistes sont disposés à sanctionner une semblable induction. Habitués aux lignes