Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
647
NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

auxquelles l’esclave s’est si bien accoutumé, qu’il oublie qu’il les traîne après lui ! Sachons pourtant ne pas craindre la vérité, osons étudier l’homme en naturalistes aussi bien qu’en érudits et en philosophes ; remontons à son passé le plus lointain ; cherchons-le dans ces vieux monumens où nous le voyons lutter corps à corps avec les animaux les plus farouches ; ramassons dans le limon déposé il y a plusieurs siècles les grossiers instrumens qui ont servi à ses premières luttes ; étudions les actions par lesquelles les espèces animales se subdivisent en variétés, et recueillons ainsi précieusement toutes les analogies qui peuvent nous éclairer sur l’origine des races humaines. C’est à ce dernier sujet que M. Charles Darwin vient de consacrer un livre qui a du premier coup excité la plus vive curiosité, soulevé de violentes critiques et de vives admirations. La réputation de M. Darwin comme naturaliste est déjà ancienne ; il fit autrefois le tour du monde sur le Beagle, et à son retour publia des souvenirs de voyage pleins de charme, des ouvrages relatifs à divers phénomènes naturels, notamment à la formation des îles de corail dans l’Océan-Pacifique. Toutefois le livre consacré à « l’origine des espèces » a une portée bien supérieure à ces anciens travaux ; c’est le résultat de longues années d’étude et de patiente observation, l’exposé d’une théorie zoologique originale qui embrasse tout l’ensemble des phénomènes du monde organique, et qui est digne du plus sérieux examen.


I.


En se plaçant au point de vue le plus vraiment philosophique, on ne doit considérer le règne animal que comme une réunion d’individus ; mais, pour les besoins de la science, on attribue depuis longtemps le nom d’espèce à la collection des individus semblables, produits par d’autres individus semblables. Ces ressemblances sont-elles absolues ? Non, sans doute. Il y a longtemps qu’on l’a dit : il n’y a pas deux feuilles identiques dans une forêt ; de même on peut affirmer qu’il n’y a jamais une similitude parfaite entre deux hommes, deux chevaux, deux chiens. Parmi les caractères qui distinguent les membres d’une même espèce, il faut pourtant faire deux parts : les uns sont purement accidentels et personnels, les autres sont transmissibles et permanens. Une taille plus ou moins haute, des tons variables dans la couleur des cheveux, des yeux, toutes ces particularités qu’on aperçoit du premier coup d’œil dans un salon ou dans une foule sont d’un tout autre ordre que les différences bien plus profondes qui distinguent l’Européen du nègre, du Chinois, de l’Indien des prairies. Le massif bouledogue, le chien