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NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

cortège à nos premiers parens dans le paradis terrestre : gazelles et tigres, brebis et lions errent ensemble sur les beaux gazons de l’Éden ; la trompe de l’éléphant se balance à côté du maigre cou de la girafe, parmi de grands arbres couverts de fleurs fantastiques.

La classification est le fil qui nous guide dans le dédale de la nature ; mais il faut bien se garder de croire qu’elle ait une valeur propre, ou, pour employer un langage philosophique, objective. Nos divisions ne sont que des formes que l’esprit façonne à son gré pour y déposer les lambeaux de vérité qu’il est capable de saisir. Nous procédons comme le peintre, qui, en commençant un tableau, trace d’abord des contours sur la toile, bien que dans ce qu’il veut représenter il n’y ait pas de lignes sans épaisseur, mais seulement des corps étendus, de forme et de couleur variables ; l’œuvre de l’artiste achevée, le contour géométrique a disparu. Nos classes, nos familles, nos genres, sont en quelque sorte les contours qui nous permettent de garder dans notre mémoire la trace d’innombrables observations. Chercher, comme on le fait, la variété dans l’unité, l’unité dans la variété, n’est qu’une façon d’interpréter la nature, et l’on conçoit sans peine qu’une pareille interprétation donne matière à de perpétuels commentaires. Les érudits qui cherchent la clé d’une langue inconnue ne sont pas plus divisés entre eux que ceux qui ambitionnent de lire dans le livre mystérieux de la vie, d’en comprendre le caractère et le sens caché.

Y a-t-il dans l’histoire naturelle, comme dans les autres sciences, quelque chose de fixe, une base sur laquelle puisse s’appuyer l’édifice, un élément qui serve tantôt à composer, tantôt à décomposer l’ensemble ? Dans l’arithmétique, cette unité fondamentale est le nombre ; dans la chimie, c’est l’atome ; dans la mécanique, la force. L’unité admise par la plupart des naturalistes est l’espèce ; mais ce point essentiel de la doctrine n’est pas à l’abri de la critique : la définition, les caractères de l’espèce, ont été l’objet de fréquentes et d’ardentes contestations. Tandis que les uns l’envisagent, avec Buffon, comme une forme immuable, fixe, la regardent comme un produit direct et achevé de la puissance créatrice, d’autres ne veulent y voir qu’une simple catégorie, purement subjective, comme toutes celles qui encombrent nos classifications : pour ces derniers, il n’y a de réalité que dans l’individu. Un exemple bien saisissant fera comprendre combien l’on est encore loin de s’accorder sur ce qu’il faut entendre par l’espèce : il suffit de rappeler les interminables débats auxquels a donné lieu l’espèce humaine elle-même. Faut-il rapporter l’immense collection des êtres que nous honorons du nom d’hommes à une seule ou à plusieurs espèces ? Descendent-ils d’une souche unique ou de souches diverses ? L’anthropologie, l’ethnographie, la