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avec le portrait de Mona Lisa que nous possédons, on se convaincra qu’il pourrait y avoir dans ces rapprochemens, dont je n’ai pas été seul frappé, une explication plausible d’un fait unique dans l’histoire de l’art.

Les répétitions du portrait de Mona Lisa sont très nombreuses ; il s’en trouve aux musées de Madrid, de Munich, à Florence, à la casa Mazzi, à Rome chez le prince Torlonia, dans la villa Sommariva, sur le lac de Côme, à Londres, dans la collection Hume. Le portrait du Louvre a noirci, mais sans rien perdre de son harmonie et de sa beauté, et c’est par une étrange inadvertance que les commentateurs de Vasari ont écrit « qu’il avait été gravement défloré par une restauration maladroite. » La moindre retouche faite à une semblable merveille sauterait aux yeux. Ce tableau est parfaitement intact, et on a sur ce point trop à reprocher aux administrations qui se sont succédé au Louvre pour qu’il convienne de les charger d’un crime imaginaire.

Dans leur immortalité relative, les créations du génie ont cette ressemblance avec celles de la nature, que les années ne les atteignent point, et qu’une jeunesse éternelle est leur partage. Celles-ci se renouvellent de saisons en saisons ; les grandes œuvres de l’art conservent d’une manière plus constante et malgré les injures du temps la vivante image de la pensée qui les créa. Les unes comme les autres demeurent, tandis que s’entassent à leurs pieds les débris des générations qui les ont contemplées. Cette image voluptueuse et charmante de Mona Lisa existe depuis plus de trois siècles. Des milliers d’hommes, de tout âge et de toutes langues, se sont pressés autour de ce cadre étroit. Ils se sont embrasés aux rayons de ces yeux limpides et ardens. Ils ont écouté les paroles menteuses de ces perfides lèvres. Ils ont emporté aux quatre coins du monde le trait empoisonné dans leur cœur. Aussi longtemps qu’il restera quelques vestiges de cette merveilleuse et funeste beauté, tous ceux qui cherchent à lire les mystères de l’âme sur les traits du visage viendront avec angoisse demander à ce sphinx nouveau le mot de l’énigme éternelle. Amoureux, poètes, rêveurs, allez mourir à ses pieds ! Votre désespoir ni votre mort n’effaceront de cette bouche railleuse le sourire enchanteur, le sourire implacable qui promet la félicité, qui ne donnera jamais le bonheur.

Le Saint Jean est moins parfait que la Joconde, et cependant je ne crois pas que dans aucun autre de ses ouvrages Léonard se soit autant approché de l’idéal qu’il poursuivait ; mais par quelle étrange fantaisie le peintre a-t-il mis une croix dans la main de cette figure profane ? Ce Saint Jean est une femme, personne ne s’y trompe. C’est l’image de la Volupté : elle s’impose à l’esprit avec une incroyable