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Saint Jean et la Jocondev suffiront pour caractériser cette dernière manière de Léonard. Un passage obscur de Vasari a fait contester l’authenticité de la Vierge et sainte Anne. Le biographe raconte que les frères servites chargèrent Léonard de faire pour le maître-autel de l’église de l’Annunziata un tableau précédemment commandé à Filippino, qui, par considération pour Léonard de Vinci, renonça à cette commission ; que Léonard, s’étant installé chez les frères avec sa famille, n’aurait mis aucun zèle à terminer cet ouvrage ; qu’après en avoir avancé le carton, qu’il exposa pendant deux jours à l’admiration de la foule, et leurré les frères de promesses, il l’aurait abandonné ; que plus tard même, malgré les instances de François Ier, son indécision et sa mobilité l’auraient empêché de le peindre. Le carton fait pour les frères servites est maintenant très connu ; il est à l’académie de Londres, et n’a pu en aucune manière servir pour le tableau du Louvre. Dessiné aux crayons noir et blanc, c’est un des ouvrages les plus parfaits et les mieux conservés de Léonard. Les figures sont plus petites que nature. Le Christ, sur les genoux de sa mère, se retourne vers le petit saint Jean. Sainte Anne est assise à côté de la Vierge, et montre le ciel de la main. L’auteur a donc fait deux compositions différentes de ce sujet, ce que Vasari paraît avoir ignoré ; mais il n’a pas fallu moins d’un texte de Paul Jove, qui affirme que le tableau représentant la Vierge assise sur les genoux de sainte Anne a été exécuté, et surtout de l’excellence tous les jours mieux reconnue de ce merveilleux ouvrage, pour le faire restituer à Léonard.

Cette composition a été répétée par les meilleurs élèves du grand peintre. Le carton original du tableau de Paris serait, d’après M. Waagen, dans la famille de Platen, en Westphalie[1] ; la copie de Salai, faite pour la sacristie de Saint-Celse, est dans la galerie de Leuchtenberg, à Munich ; celle du palais Pitti est attribuée à Aurelio Luini, et la répétition, avec quelques variantes, de la galerie Brera, à Bernardino Lanino.

Quoiqu’on trouve ça et là dans ses premiers ouvrages, et même dans ceux de son maître Verrocchio, quelques traits de ce type féminin que Léonard devait immortaliser dans ses dernières compositions, c’est dans le visage de cette Vierge du Louvre qu’il l’accuse avec le plus de netteté et d’élévation. Ce tableau n’est pas achevé, les draperies, les fonds et les accessoires ne sont qu’ébauchés, la couleur n’est pas aussi solide, le modelé n’est pas aussi puissant que dans le portrait de la Joconde. La composition même est bizarre et ne vaut pas celle du carton de Londres, mais les têtes sont admirables.

  1. Waagen, Kunstwerke und Künstler in England und Paris, t. III, p. 426.