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milieu de ses enfans, et disant à l’un d’eux : « Tu m’as trompé ! » On aura, moins la beauté et la force que le génie ajoute à la réalité, le drame qui resplendit sur la muraille de Sainte-Marie. L’art doit-il en rester là ? En se bornant à exprimer d’une manière admirable des sentimens vrais, Léonard a-t-il donné à sa création toute la portée qu’elle pouvait avoir ? Je conviens que son œuvre est parfaite, et qu’il l’a exécutée telle qu’il l’a conçue ; mais je ne puis comprendre qu’en se méprenant sur le but qu’il poursuivait, on ait voulu faire de ce grand peintre le représentant le plus élevé et le plus complet de l’art religieux. Je sens bien de quel intérêt il serait pour certaines doctrines exclusives de s’assurer un pareil auxiliaire ; mais les faits ne se prêtent point à de pareilles interprétations. L’auteur de la Cène n’est ni liturgique, ni chrétien, ni religieux à aucun degré. Non-seulement la pensée religieuse ne se montre nulle part dans ses ouvrages d’art, mais ce que l’on a lu de ses volumineux écrits et de ce journal où il consignait régulièrement ses plus secrètes pensées peut leur servir de commentaire et d’explication. On n’y trouvera qu’un observateur prodigieux de l’esprit humain, une merveilleuse intelligence dont la sagacité s’élève jusqu’au génie : jamais un mot sorti du cœur, jamais un sentiment qui dépasse la réalité. Il ne faut pas jouer sur les mots. Je comprends qu’une œuvre parfaite, quelle qu’en soit d’ailleurs la portée, élève l’âme, et qu’en lui montrant une image harmonieuse, et jusqu’à un certain point complète, elle la prédispose à concevoir le surnaturel, l’absolu ; mais je ne puis admettre que cette œuvre elle-même ait un caractère religieux. Retenus dans l’espace et dans le temps, nous n’y sommes point enfermés. Semblables à ces êtres inférieurs de la création qui, destinés à subir plusieurs métamorphoses, présentent dès les premières phases de leur développement des organes rudimentaires sans utilité directe, nous avons des facultés incomplètes qui perçoivent obscurément des formes, des idées, des sentimens, qui dépassent les limites du monde sensible. La religion, la métaphysique, la poésie, la musique, les arts du dessin, sont les formes qui répondent à ces besoins de l’âme, à ces élancemens du cœur, à ce goût passionné de la beauté, traits épars de la vérité parfaite à laquelle l’homme aspire, et qu’il pressent. C’est cette beauté suprême que les maîtres naïfs de la noble école toscane poursuivaient malgré les entraves d’un art imparfait ; c’est elle que cherchaient Michel-Ange et Raphaël, et qu’ils ont atteinte en particulier dans cette figure du Christ, l’un en lui donnant une force, une grandeur et une majesté surhumaines, l’autre en répandant sur toute sa personne une grâce, une pureté, une douceur presque divines.

Les tableaux de chevalet qu’on peut avec quelque certitude attribuer