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Pavie par Louis XII, sur lequel M. Waagen a le premier appelé l’attention[1], jette quelque jour sur cette question. Cet admirable manuscrit[2], terminé en 1490 et intitulé Gesti di F. Forza, est dû au Crémonais Bartholomeus Gambagnola, qui en rédigea le texte très probablement sur l’ordre de Louis le More. Il est orné de trois miniatures de la plus grande importance, et sans aller aussi loin que ceux qui prétendent y voir la main de Léonard, il est impossible de méconnaître qu’elles ont été faites sous son influence, sur ses dessins, et sans doute par quelqu’un des élèves de l’académie de Milan. Au bas de la première page de l’introduction, couverte elle-même d’arabesques et d’ornemens d’un goût exquis, se trouve, dans un médaillon soutenu par deux amours, un portrait de Louis le More, d’une finesse, d’une fermeté et d’une largeur admirables. Le frontispice représente François Sforza, à cheval, sous un portique. Le cheval, puissant et un peu lourd, marche du pied droit ; l’anatomie en est très belle et paraît étudiée d’après une statue plutôt que d’après le vif. Le cavalier, armé de la tête aux pieds, le bâton dans la main droite appuyée en arrière sur la selle, semble un peu court ; sa tête, coiffée de la toque, est d’un dessin sec et précis. Le portrait est reproduit en buste à la page suivante en plus grande dimension. Si l’on se rappelle maintenant qu’en 1490 Léonard avait fini le premier modèle de la statue de Sforza, qu’il dirigeait à Milan non-seulement l’académie, mais tout ce qui, de près ou de loin, touchait aux beaux-arts, même la décoration du palais de Louis le More et jusqu’aux fêtes qu’il donnait, qu’il n’y avait à Milan aucun autre monument de François Sforza qui pût servir de modèle aux miniaturistes, que ces peintures sont bien certainement dans le style de Léonard, on conclura avec beaucoup de vraisemblance que nous possédons la reproduction de son œuvre, au moins telle qu’il l’avait exécutée une première fois. Il faut malheureusement ajouter que cette miniature, quelque belle qu’elle soit, ne donne pas l’idée d’une œuvre très originale ni très puissante. Ce n’est pas une création ; elle se rapproche trop des statues équestres qui existaient alors en Italie, du Colleoni de Verrocchio et du Gattamelata de Donatello, qui ornait depuis bien des années la place de San-Antonio à Padoue. Il serait du reste imprudent de juger une œuvre de cette importance d’après une miniature, et l’on peut d’ailleurs supposer que si Léonard, dont la justesse d’esprit n’est point contestable, abandonna son premier projet, c’est qu’il n’en était point satisfait. L’historien Paul Jove, qui put voir le modèle définitif, assure qu’il était aussi remarquable par son originalité que par ses dimensions.

  1. Waagen, Kunstwerke und Künstler in England und Paris, p. 307.
  2. Ancien fonds, petit in-folio, n° 9941.