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un jour quelques-uns de ses dessins et les porta à André Verrocchio, qui était de ses amis, en le priant de lui en dire son avis. Verrocchio discerna aussitôt le génie naissant du jeune homme, il conseilla à son père de ne point hésiter à lui faire étudier la peinture, et il fut convenu qu’il entrerait dans son atelier. De tous les artistes qui alors illustraient l’école toscane, aucun n’avait au même degré qu’André Verrocchio les goûts, les aptitudes, la nature de talent qui devaient captiver l’esprit du jeune Léonard. Le hasard lui donna pour premier guide l’homme qu’il aurait choisi, s’il eût été en mesure de le faire, et on a remarqué avec beaucoup de raison que « les tendances naturelles de l’élève furent plutôt encouragées que réprimées par l’exemple du maître[1]. » Verrocchio aimait passionnément la musique et les chevaux ; son esprit inventif n’était jamais en repos. Il fut un des premiers à employer le plâtre pour mouler sur nature. Il s’était beaucoup occupé de mathématiques dans sa jeunesse, ainsi que de l’application de la géométrie à la perspective linéaire. Il avait débuté dans les arts par de petits ouvrages d’orfèvrerie religieuse, agrafes de chapes, coupes ciselées et vases sacrés, dont les contemporains vantent l’élégance, et qui sont malheureusement perdus. Le beau retable en argent qui orne encore aujourd’hui le maître-autel du baptistère de Florence suffit pour donner une idée de ce que son talent avait de gracieux et de fin. Il dessinait admirablement, et Vasari parle avec enthousiasme « de quelques têtes de femmes, qu’il conservait dans son recueil, dont les coiffures avaient tant de grâce et une telle beauté, que Léonard de Vinci les imita toujours. » De l’orfèvrerie, il avait passé à la sculpture, et quoique son David des Offices, son groupe de Thomas et le Christ d’Or-San-Michele, l’Enfant qui tient un Dauphin de la cour du Palais-Vieux, soient loin de valoir les œuvres de ses prédécesseurs immédiats, Ghiberti et Donatello, il est impossible de refuser à ces statues un mérite qui paraîtrait plus éclatant, si l’on pouvait oublier celles de ses illustres rivaux. Plus tard, il s’occupa de peinture, et fit les cartons de quelques grands tableaux d’histoire que sa mobilité d’esprit l’empêcha d’achever. Il termina sa carrière par l’admirable monument de Bartolommeo Colleoni, à Venise, qui le placerait, s’il était prouvé qu’il en est l’unique auteur, au premier rang des artistes de son temps.

C’est pendant que Léonard travaillait sous la direction de Verrocchio qu’il peignit cette fameuse rondache, le premier de ses ouvrages dont l’histoire fasse mention, et dans lequel déjà il montrait à un si haut degré, s’il faut en croire la description que Vasari nous a laissée de cette peinture, les deux traits caractéristiques de son génie,

  1. Rio, De l’Art chrétien, t. II, p. 39.