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En étudiant à nouveau quelques-uns des artistes principaux du XVIe siècle, je n’ai pas la prétention de modifier d’une manière importante l’opinion qu’on s’en est faite jusqu’ici. Les traits généraux de ces grandes figures sont connus, mais la plupart de nos historiens en sont restés aux renseignemens incomplets et inexacts donnés par Vasari et par d’autres biographes du même temps, quoique depuis une vingtaine d’années les travaux des Rumohr, des Gaye, des Waagen, des Passavant, et en dernier lieu l’excellente édition de Vasari publiée à Florence, nous aient mis à même de remplacer enfin le roman par l’histoire, de donner un caractère précis à des physionomies que des admirations ou des dénigremens sans mesure ont trop souvent dénaturées. En même temps la photographie populaire, en nous faisant connaître une foule de dessins enfouis jusqu’ici dans les collections, nous permet de pénétrer plus avant dans l’intimité du talent de ces grands artistes. Une autre considération donne, ce semble, aux travaux de ce genre une opportunité particulière. L’expérience du passé doit servir d’enseignement, de conseil au présent, et ce ne sont pas seulement les jouissances qui résultent de l’étude des œuvres de l’imagination qu’il faut demander à l’histoire de l’art. Le talent, l’habileté, la connaissance des procédés techniques ne manquent certes point aux artistes de notre époque, et cependant notre école de peinture, si distinguée à quelques égards, erre au gré de toutes les fantaisies sans pouvoir trouver sa direction. Égarée elle-même, elle égare le public, qui ne sait plus que penser et que croire dans cette confusion de manières et de doctrines. Les voix qui seules devraient être entendues se perdent au milieu de ces clameurs d’amour-propre et d’intérêts ligués. Quelques efforts individuels et persévérans sont étouffés dans un chaos d’ouvrages dont les prétentions égalent seules la médiocrité, et l’exemple des maîtres de la renaissance, qui surent atteindre, au moyen de méthodes précises et sûres, le but élevé qu’ils poursuivaient, me paraît pouvoir être consulté de nos jours encore avec profit aussi bien par les artistes que par le public.


I

Au milieu du XVe siècle, la Toscane présentait un spectacle que le monde n’avait pas revu depuis le temps de Périclès. Les arts du dessin avaient été amenés à ce degré de perfectionnement qui permettait à un homme de génie de leur donner une forme définitive. Les moyens d’exprimer la pensée nouvelle avaient été trouvés l’un après l’autre. Giotto ne s’était pas borné à rompre avec la tradition grecque et à modifier les types hiératiques de la peinture liturgique.