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contre des tendances auxquelles un peuple de soldats n’est peut-être que trop enclin. Laissez faire la science, elle n’abolira pas de si tôt l’officier de marine.

Un véritable homme de mer, qui put se vanter, au temps même de nos plus dures épreuves, de n’avoir jamais rencontré une frégate ennemie sans l’avoir prise, détruite ou obligée à lui céder le terrain, le capitaine Bouvet, voulait que l’éducation de nos jeunes officiers se fit sur les côtes de la Manche et sur celles du golfe de Gascogne ; il ne plaçait qu’en seconde ligne les campagnes lointaines. Je partage complètement cet avis. Les mers qui baignent nos côtes étant les plus difficiles et les plus périlleuses qui soient au monde, ceux qui auront appris à les affronter ne trouveront plus ni difficultés ni périls dans les autres parages. Quand l’officier de mer aurait consacré huit ou dix années de sa vie à s’initier aux détails les plus essentiels de sa profession, quand il aurait appris le pilotage sur nos côtes, la grande navigation au-delà du Cap-Horn et du cap de Bonne-Espérance, je voudrais m’occuper alors, mais alors seulement, de perfectionner son éducation militaire. Les escadres d’évolutions, ai-je besoin de le répéter, seront de tout temps, à mes yeux, les indispensables dépositaires des précieuses traditions dont chacun doit venir s’imprégner tour à tour. Malheur à l’officier qui ne peut achever son apprentissage à cette école ! L’expérience de toute une époque maritime sera perdue pour lui. L’embarquement sur les vaisseaux de ligne ne devrait donc pas être, comme il l’est aujourd’hui, une pure faveur du hasard ; ce devrait être le privilège des lieutenans qui auraient pris ailleurs leurs deux premiers degrés, et peut-être, pour rendre pendant la paix cette école accessible à un plus grand nombre d’officiers, faudrait-il que les états-majors des vaisseaux fussent renouvelés tous les ans.

L’éducation de l’officier, voilà donc le grand point et l’affaire capitale. Il est pourtant quelques autres détails que je ne voudrais pas entièrement passer sous silence. Les meilleurs officiers ne sauraient se passer du concours de bons mécaniciens, de canonniers habiles, de gabiers même, que la marine marchande ne formera jamais qu’imparfaitement pour la marine de guerre. L’état (je n’hésiterais pas à lui imposer une obligation que seul il peut remplir) doit encore se charger de l’éducation de tous ces agens subalternes dont le rôle s’agrandit chaque jour. Si nous avions trop peu de matelots autrefois, c’est surtout de mécaniciens que nous pourrons manquer aujourd’hui. Qui ne connaît les terribles mécomptes de la marine à vapeur ? Qui n’a entendu parler de ces brusques arrêts, de ces avaries soudaines auxquels sont constamment soumises les plus délicates des machines ? Longtemps on aurait cru que nous n’avions en France qu’une marine de verre, tant l’insécurité de ces appareils était devenue vraiment