Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je crois, en un mot, à l’avenir de la marine française, et je ne veux pas lui rendre tout combat impossible : je réclame pour elle la flotte de d’Orvilliers. Que de plus audacieux mettent leur confiance dans la flottille de Boulogne, et oublient, s’ils en ont le courage, les escadres sans l’appui desquelles cette flottille n’a jamais dû quitter le port !

Il y a deux années à peine, j’aurais dit aisément quels vaisseaux étaient les véritables bâtimens de ligne et devaient par conséquent composer le fonds de notre armée navale. La question a beaucoup perdu aujourd’hui de sa simplicité. Pour la résoudre, il ne faut pas craindre de demander son secret à l’avenir.

Dès l’année 1824, un officier qui posa le premier dans notre marine les vrais principes de l’artillerie navale et eut le pressentiment de la plupart des progrès que notre époque devait réaliser, M. le capitaine de frégate de Montgery, n’hésitait pas à prédire que les navires à vapeur, les projectiles creux, les vaisseaux couverts de métal, les navires sous-marins, « opéreraient des changemens analogues à ceux produits dans les XIVe et XVe siècles par la boussole, la poudre à canon, l’imprimerie et la découverte du Nouveau-Monde[1]. » Cette prophétie, remarquable surtout par le temps où elle fut faite, s’est déjà vérifiée en partie ; la marine à voiles, comme instrument de guerre, a dû céder la place à la marine à vapeur, et déjà une troisième marine menace de succéder incessamment aux deux autres. Un navire sans armure ne méritera plus bientôt le nom de navire de guerre[2]. Grâce à une impulsion toute-puissante et à la facilité

  1. « L’exemple donné par les trois principales puissances maritimes, ajoutait M. de Montgery, sera nécessairement suivi par toutes les autres, et les projectiles creux acquerront dans la marine une vogue générale, mais passagère On reconnaîtra bientôt qu’ils ne produiraient aucun effet décisif contre des navires bardés de fer ou d’acier. Les anciens couvraient parfois de fer ou d’airain les navires, les hélépoles et d’autres grandes machines en bois. Les modernes ont plusieurs fois reproduit ce procédé… En 1782, le capitaine Verdun de La Crène proposa ce système au colonel d’Arçon pour les batteries flottantes que l’on destinait à agir contre Gibraltar… Dans nos dernières guerres, on barda de fer plusieurs radeaux qui défendaient un passage dans les lagunes de Venise… A New-York, en même temps que M. Stevens perfectionnait la fabrication des obus, on essayait de former des murailles de vaisseau impénétrables. Des barreaux de fer de cinq pouces d’équarrissage furent encastrés dans un but en bois de chêne épais de vingt pouces. Des boulets du calibre de 32, tirés de près contre ce but, avec de fortes charges de poudre, ne purent y pénétrer. »
  2. Dans les essais faits à Brest en 1823 sur le canon Paixhans, la commission reconnut que nul vaisseau, quelle que fût sa force, ne pourrait tenir, de 300 à 600 toises de distance, contre une batterie armée d’obusiers. « Une influence de ce canon a bombes qui brise et incendie si vivement les vaisseaux de bois, ce sera tôt ou tard, disait à cette époque M. Paixhans, l’adoption de vaisseaux en fer ou recouverts d’une armure suffisante contre l’artillerie. » — « Pour utiliser les vaisseaux déjà construits, disait de son côté M. de Montgery, il faudrait d’abord raser toute la partie des œuvres-mortes qui surmonte la batterie basse, encastrer sur toute la muraille un grillage en fer descendant jusqu’à huit pieds au-dessous de la flottaison. On donnerait cinq pouces d’équarrissage aux barres de ce grillage ; elles se croiseraient à angles droits, et les mailles auraient trois pouces carrés. »