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une bonne marine : il reste à nous en donner une grande ; c’est la pierre angulaire qu’il s’agit de sceller. Les marines secondaires ne peuvent vivre que lorsqu’elles ne causent pas d’ombrages. La nôtre, depuis la dangereuse notoriété qu’elle s’est acquise, n’a plus d’autre alternative que de s’effacer complètement ou de grandir encore. Telle est la conviction que je voudrais faire partager à tous ceux que préoccupent les destinées de notre établissement naval.

Deux fois dans l’espace de quelques années, nous avons eu l’occasion de rétablir un équilibre auquel, depuis un demi-siècle, il nous était défendu d’aspirer : la première fois en 1852, lorsque le vaisseau à vapeur vint mettre à néant la marine à voiles, la seconde en 1855, lorsque le navire cuirassé eut menacé de la même déchéance le vaisseau à vapeur. Au début de ces deux périodes, toutes les puissances maritimes partaient du même point ; les plus actives devaient arriver les premières au but. C’est volontairement que nous nous sommes laissé devancer : fut-il jamais gage plus éclatant de notre modération ? car, je le dis avec une sincérité aussi exempte de crainte que de flatterie, je suis de ceux qui refusent de voir dans cette conduite une nouvelle preuve de notre imprévoyance. Il me paraît en effet difficile que nous songions à posséder à la fois une marine prépondérante et une armée qui sera longtemps encore la première du monde. Tout ce que je demande, c’est que notre flotte ne reste point à la merci d’une flotte rivale qui se développerait outre mesure, c’est que nous ne mettions pas seulement notre sécurité dans la qualité de nos vaisseaux, mais que nous en comptions aussi quelquefois le nombre ; c’est que, dans nos efforts, nous ne nous laissions point ébranler par des clameurs qui ont le double objet d’arracher à un peuple économe des subsides, d’inspirer à un peuple crédule une satisfaction présomptueuse. Si, dans les conditions où se trouve aujourd’hui notre marine, elle peut encore inspirer à nos voisins de réelles et sincères inquiétudes, je la félicite de l’hommage que ces appréhensions, si peu dignes pourtant d’un grand peuple, semblent rendre involontairement à sa bonne organisation et à sa discipline. Je n’en trouverais pas moins peu prudent et peu généreux de notre part d’exposer nos escadres à des luttes toujours inégales. Les meilleures armées s’usent promptement à ce terrible jeu, et leur moral n’y résiste pas longtemps. Sans doute, quand l’organisation militaire des deux flottes a la même valeur, on peut quelquefois compenser l’infériorité numérique par la vitesse. La marine qui ne peut avoir l’espoir d’être la plus nombreuse doit au moins chercher à être la plus rapide. C’est le premier but qu’elle doit se proposer ; mais par quel artifice peut-elle se flatter de l’atteindre ? Les arsenaux, au temps où nous vivons, n’ont plus guère de secrets. Nos plus ingénieuses