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station navale. Nos jeunes officiers ne trouveront pas sans doute, dans l’existence un peu monotone que leur fait nécessairement toute période pacifique, les émotions qu’ils s’étaient promises le jour où, le cœur gonflé de joie et d’orgueil, ils prononçaient leurs vœux maritimes. Ils devront accepter courageusement la réalité. La réalité aux temps où nous sommes, ce n’est pas malheureusement la vie de Jean-Bart et de Duguay-Trouin ; c’est la mienne, c’est celle que j’ai fidèlement racontée. Quiconque ne sait point penser et se suffire à soi-même, quiconque ne sait pas souffrir n’est pas propre à la vie maritime ; je le dis hardiment : il s’est trompé de carrière.

Je n’ai eu à retracer jusqu’ici que les événemens d’un autre siècle, et j’ai pu rester facilement dans le demi-jour d’où il ne me convenait pas de sortir. Je touche maintenant à ce point délicat de mon récit où je ne saurais faire un pas de plus sans me heurter à des épisodes presque contemporains. Je n’insisterai pas sur des années moins remplies d’ailleurs que les autres par mes souvenirs personnels ; je n’en veux parler que pour montrer un des plus importans emplois que, jusqu’aux derniers jours de sa vie militaire, notre organisation administrative a su réserver à l’activité du marin. Rentré à Brest le 22 septembre 1825, je n’avais d’autre ambition que de recommencer, après quelque temps de repos, une nouvelle campagne, lorsqu’on vint me proposer une préfecture maritime. On s’occupait alors de réorganiser le service et l’administration des ports sur le pied où les avait laissés l’empire. Toutes ces institutions dont on avait fait table rase, lorsqu’il était de mode de décrier le régime disparu, reprenaient peu à peu faveur. Le préfet, appelé à concentrer dans ses mains les doubles attributions des comnandans de la marine et des intendans, redevenait dans le port le seul représentant du ministre ; dans la ville, il était celui du souverain. Aussi, en temps de crise, la tâche d’un préfet maritime se complique-t-elle de difficultés et d’obligations nouvelles dont la révolution de juillet ne m’offrit que trop tôt l’occasion de connaître la gravité. Le roi avait abdiqué. On attendait de Paris des ordres. Cette habitude d’obéissance passive aux instructions venues de la capitale est encore un des fruits de notre centralisation administrative. Il ne faut pas trop s’en plaindre : une pareille soumission favorise, il est vrai, le succès des révolutions, mais elle est aussi un préservatif contre l’anarchie. Dès que Paris a parlé, la province s’incline, et la machine, un instant arrêtée, se remet en mouvement. Il en fut ainsi dans le port où je commandais. Les ouvriers étonnés retournèrent à leurs travaux sans un seul jour de chômage. Quant à la ville, elle se pavoisa de drapeaux tricolores et envoya une députation au gouvernement provisoire. Le changement de dynastie s’était donc, en ce qui