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conduisis le 9 juillet 1825 sur la rade de Port-au-Prince. Je n’essaierai pas de décrire la douloureuse impression que produisit sur mon esprit le spectacle de cette colonie que j’avais visitée en 1788 au temps de sa splendeur, et qu’en 1803, même au milieu des horreurs de la guerre, j’avais laissée portant encore l’empreinte de sa grandeur passée. Les ruines de cette dernière époque avaient disparu ; la végétation des tropiques avait tout recouvert. Où s’élevaient autrefois des habitations élégantes, on ne rencontrait plus qu’un bois ou une savane. Les cours d’eau contenus à grands frais qui fertilisaient jadis cette terre promise s’épanchaient au hasard. Saint-Domingue était redevenue une terre vierge, et l’œuvre des flibustiers était complètement à refaire. Bien que partisan très modéré des colonies, je ne puis cacher les regrets que me causa le sacrifice de nos droits sur Saint-Domingue. Au point de richesse et de puissance où la France est aujourd’hui parvenue, il lui eût été plus facile de rétablir l’ordre et la culture à Haïti que d’aller tenter au sein de l’Océan-Pacifique ou sur les rives de la Guyane des défrichemens dont le succès est encore douteux. Les nations n’ont jamais assez de foi dans leur avenir. Si la France à cette heure possédait seulement les titres des possessions qu’à diverses époques elle a gratuitement sacrifiées, elle aurait de quoi satisfaire amplement au besoin d’expansion et d’activité extérieure qui la dévore.

Notre apparition devant Saint-Domingue fut le dernier acte de notre longue campagne dans la mer des Antilles. Depuis dix-huit mois, nous y exercions une surveillance dont nos équipages épuisés payaient cruellement les frais. Quoique nous eussions passé une partie de la saison d’hivernage dans la Chesapeake, nous n’en avions pas moins perdu plusieurs officiers et un grand nombre de matelots. Le climat des Antilles n’est pas tous les ans également meurtrier ; mais pendant les premières années de la restauration il ne mérita que trop bien son renom d’insalubrité. Cette station, comme je l’ai dit, était celle où se rassemblait d’ordinaire la majorité de nos forces navales. Que de braves officiers, que de jeunes gens remplis d’un long espoir, tombèrent alors victimes de l’horrible fléau qui prélevait presque infailliblement sur notre marine sa dîme périodique ! Chaque année, le port de Brest expédiait à la Martinique de nouveaux navires ; chaque année, la Martinique renvoyait à Brest des navires à demi désarmés, que les débris de leurs équipages allaient silencieusement mouiller sous l’île des Morts. Jamais un murmure cependant ne s’éleva du sein de cette population décimée à l’avance. Le dévouement et la résignation, qui doivent être les premières vertus du marin, sont des vertus naturelles à la race bretonne.

J’ai voulu décrire avec quelque détail le service habituel d’une