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Tout marin comprendra l’indignation dont mon cœur devait être rempli. S’il est vrai que la marine française doive son origine à l’insulte faite par un yacht de la reine d’Angleterre à l’ambassadeur du roi Henri IV, ce qui se passait en 1825 dans la mer des Antilles n’était pas moins fait pour imprimer dans tous les esprits la conviction que, sans une marine de guerre imposante, le pavillon de la France devait cesser de se déployer sur les mers. Une chétive puissance pouvait prendre son parti de pareils outrages. Le plus beau royaume de l’Europe devait être à l’abri de ces humiliations. Grâce à Dieu, malgré les ménagemens qui nous étaient commandés, les réparations que nous poursuivions nous furent accordées aussi complètes que je pouvais le désirer. L’Uranie nous fut restituée à la première sommation, et le 6 juin 1825 je reçus une lettre du ministre des relations extérieures de la république de Colombie, qui s’excusait dans les termes les plus satisfaisans de l’offense « faite involontairement, disait-il, au pavillon de sa majesté très chrétienne. » Je prévins aussitôt les capitaines de la division de s’abstenir de tout acte de violence envers les bâtimens de la Colombie ; mais déjà deux de ces navires avaient subi la visite que j’avais prescrite, et j’avoue que je n’eus pas le courage de le regretter.

Si le gouvernement de la restauration eût été soutenu par l’opinion publique, il est peu de gouvernemens qui eussent élevé plus haut le drapeau de la France et mieux sauvegardé ses intérêts ; mais la restauration se sentait sans appui, et semblait toujours craindre de froisser cette opposition dont les clameurs injustes dominaient malgré elle sa politique. Plus d’une fois elle avait songé à recouvrer la possession de Saint-Domingue. C’était une entreprise devenue facile, si on la faisait précéder de la reconnaissance absolue et solennelle de la liberté des noirs. Des inspirations plus timides conseillèrent au gouvernement français l’abandon définitif de cette colonie, au prix d’une indemnité de 150 millions de francs destinés à dédommager les anciens colons. Le gouverneur-général des Antilles françaises, M. le comte Donzelot, répugnait à cette transaction. Il connaissait mieux que le cabinet des Tuileries la situation financière de notre ancienne colonie, et prévoyait qu’on n’en obtiendrait jamais que des promesses, tandis que si l’on savait attendre quelques années encore, la force des choses nous rendrait certainement une. possession sur laquelle nos droits étaient demeurés incontestés. Ce sentiment si sage dut céder à la pression de l’opinion publique, impatiente de consacrer une nouvelle émancipation. Une ordonnance royale fut rendue à cet effet, et un envoyé extraordinaire fut chargé de la faire accepter par le gouvernement haïtien. L’escadre des Antilles reçut l’ordre d’appuyer par sa présence ces négociations. Je la