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L’orgueil national leur donna des complices, et l’abolition de la traite vint augmenter le nombre de leurs adhérens. La traite, le seul commerce qui restât à l’Espagne, entretenait un grand nombre de marins aguerris. Les agens des pirates n’eurent point de peine à recruter des équipages parmi ces matelots remplis d’activité et de vigueur que les poursuites des croiseurs anglais laissaient sans moyens d’existence.

Les premières opérations des pirates de la mer des Antilles ne portèrent le cachet ni de la timidité, ni de l’inexpérience : elles commencèrent par des armemens assez considérables ; on choisissait dans un port un bâtiment de bonne marche, et on l’en faisait sortir en plein jour avec son équipement ordinaire. La nuit venue, on le dirigeait vers les écueils dont la mer des Antilles est semée, et de ces retraites, que les pirates étaient alors les seuls à connaître, des embarcations apportaient poudres, canons, projectiles et complément d’équipage. La marine de guerre espagnole, à laquelle on ne cessait de dénoncer ces désordres, déployait pour les réprimer un zèle méritoire peut-être, mais fort stérile. Jamais il ne lui était arrivé de saisir un pirate. Il fallut que les Anglais et les Américains se décidassent à établir eux-mêmes des croisières pour protéger leur commerce. Les pirates reconnurent alors qu’il était temps d’abandonner la haute mer. Ils cherchèrent quelques points d’appui sur la côte, n’agirent plus qu’avec des bâtimens de moindres dimensions, et ne s’écartèrent presque jamais des îles. Ce fut la seconde époque de la piraterie. Son âge héroïque était passé. Beaucoup de vieux marins se dégoûtèrent d’un métier où il n’y avait plus de grandes aventures à courir. Ils furent remplacés par les pêcheurs domiciliés sur les côtes de Cuba et de Porto-Rico. Possédant une connaissance approfondie des récifs et des écueils au milieu desquels s’était passée leur vie, les nouveaux pirates crurent pouvoir défier les croiseurs étrangers de les y poursuivre. Les Anglais et les Américains découvrirent cependant l’entrée de leurs repaires quelques années avant mon arrivée aux Antilles, et n’hésitèrent pas à les y aller forcer. Pris en flagrant délit, ces forbans furent livrés aux tribunaux de La Havane. Des peines rigoureuses furent prononcées contre eux ; aucun ne paya toutefois ses forfaits de la vie. L’épouvante avait été d’abord générale ; la clémence des juges rassura les malfaiteurs. Seulement, au lieu d’employer de petites goélettes, les bandits de la côte n’armèrent plus que des chaloupes et autres embarcations qui pouvaient aisément se confondre avec celles des pêcheurs ; ils attendirent, au milieu des dangers qui environnent l’île de Cuba, les navires que les vents et les courans amenaient à leur portée. Telle fut la troisième période de la piraterie.