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n’exclut pas la dignité chez l’inférieur, il constitue même, à mon sens, la véritable dignité de l’obéissance. Nous aurions tort, je le sais, de demander à la vivacité de notre caractère national cette austère décence qui forme dans un pays voisin le fonds de la discipline sociale ; la familiarité naturelle à nos mœurs exige pourtant un correctif, et ce correctif, la restauration semblait l’avoir trouvé dans la bienséance des rapports établis entre tous les degrés de la hiérarchie officielle. On a beaucoup parlé des difficultés qui attendaient ce gouvernement ; lord Wellington et le comte de Maistre avaient en 1815 admirablement pressenti les obstacles qui, dès les premiers pas, devaient entraver sa marche. Que de ressources cependant offraient à la dynastie des Bourbons les grands noms et les grandes existences sur lesquels les frères de Louis XVI trouvaient à s’appuyer ! Seule, depuis soixante ans, la restauration a eu cet important secours pour fonder en France un gouvernement stable. Si elle n’a réussi à élever sur les ruines de la république et de l’empire qu’une monarchie éphémère, je ne crois pas qu’elle en doive complètement accuser la mobilité proverbiale de notre nation. La chute de la restauration a pu être imputée, non sans quelque apparence de raison, au malheur de son origine ; je me permettrai de l’attribuer, avant tout, à sa vertueuse et naïve ignorance des ravages qu’un demi-siècle d’incrédulité avait dû causer au sein de la société française. Le trône et l’autel ont failli s’écrouler à la fois en 1830 pour avoir imprudemment essayé de rendre solidaires deux causes qui auraient dû rester éternellement distinctes.

M. le baron Portal avait apprécié mes services avec une bienveillance qui devait assurément flatter mon amour-propre ; mais j’étais en ce moment insensible à de pareilles jouissances. Tout entier au malheur qui venait de me frapper, je ne fus touché que des marques d’intérêt personnel que me donna quelques jours plus tard le ministre avec une délicatesse qui montrait bien toute l’élévation de son âme. Dès qu’il jugea que ma douleur me permettrait de supporter le voyage, M. le baron Portal voulut m’appeler à Paris. Il m’avait ménagé une audience particulière du roi Louis XVIII et de M. le duc d’Angoulême. Le roi, qui avait lu les différens rapports que j’avais fait parvenir au ministre pendant le cours de ma dernière campagne, trouva pour m’en féliciter des expressions auxquelles assurément j’étais loin de m’attendre. Le prince, qu’en sa qualité de grand-amiral les choses de la marine touchaient de plus près encore, ne se montra pas moins bienveillant. Il m’adressa, sur la perte douloureuse que je venais de faire, quelques paroles de consolation qui m’allèrent au cœur. Au sortir de cette audience, je rentrai dans ma retraite. On ne vint pas m’y troubler, et les espérances que