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d’habiter en paix les temples sereins de la philosophie et de la sagesse. Il pourra contempler du rivage, heureux et résigné, les glorieux travaux de ses compagnons ; il craindra leurs revers, il applaudira franchement à leurs succès, car il doit être le premier à en recueillir le fruit. Lorsque l’Angleterre reconnaissante viendra décerner à sa marine une promotion d’officiers-généraux, les vainqueurs le plus souvent n’auront pas conquis cette faveur pour eux-mêmes, ils l’auront méritée pour ces capitaines de vaisseau plus anciens qui n’auront eu d’autre souci que de les accompagner de leurs vœux. Gardons-nous toutefois de plaindre les vaillans champions qui combattent pour les intérêts d’un corps tout entier. Chaque promotion les rapproche de la tête de la liste ; le grade supérieur ira infailliblement les y chercher. On entrevoit d’ici les nombreux inconvéniens de ce système : les amiraux seront pour la plupart trop vieux, les capitaines pourront souvent manquer d’émulation, l’esprit d’indépendance abusera peut-être de garanties excessives. En revanche, quelle dignité devront, sous l’empire de ces règlemens, acquérir les caractères ! quelle concorde devra régner dans les escadres ! quelle facilité trouvera la voix du patriotisme pour s’y faire entendre ! Au sentiment de l’émulation, dont je ne veux pas contester les heureux effets, on aura substitué un sentiment qui peut aussi, dans les grandes épreuves des nations, inspirer l’enthousiasme, — le sentiment du devoir. Il n’est pas certain néanmoins que la France et l’Angleterre, en prenant des routes opposées, n’aient pas fait, dans l’intérêt de leur marine, le meilleur choix. Le système anglais ne serait admissible chez nous qu’avec une très large augmentation des cadres ; le grand nombre de non-valeurs qu’il tend à créer rendrait le chiffre de notre personnel plus insuffisant encore. Lorsque les désabusés, les paresseux et les invalides ont leur place gardée par un droit imprescriptible, lorsqu’ils en ont la possession assurée jusqu’au terme de leur vie, il faut bien qu’une certaine surabondance de sujets compense cet affaiblissement réel des hauts grades, et que la faculté d’exercer un choix judicieux, chaque fois qu’une mission délicate ou périlleuse se présente, ne soit plus renfermée dans de trop étroites limites.

C’est dans le grade de contre-amiral que je devais traverser la restauration ; mais c’était quelque chose à cette époque que d’être contre-amiral. Les vice-amiraux, fort âgés pour la plupart, ne naviguaient point. Nous les avions surnommés le camp des immortels. S’ils s’obstinaient à ne pas nous céder la place, du moins ils ne nous tenaient pas dans l’ombre : tous les commandemens importans étaient dévolus à des contre-amiraux. Sur la côte d’Espagne, à Navarin, dans le Tage, ce furent des contre-amiraux qui commandèrent. Une chance très heureuse, un mérite exceptionnel, ou de très longs services