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l’échafaud. Le bourreau descendit pour préparer l’échelle, et la condamnée regarda Pirot « d’un visage doux et d’un air plein de reconnaissance et de tendresse, les larmes aux yeux : — Monsieur, dit-elle d’une voix ferme autant qu’honnête, qui montrait combien elle se possédait, ne nous séparons pas encore. Vous m’avez promis de ne pas me quitter avant que j’eusse la tête coupée ; mais d’avance je vous fais mes adieux, mes remerciemens, mes excuses… Je scellerais volontiers ma reconnaissance de mon sang… Je regrette de vous avoir donné en certains momens peu de satisfaction. Excusez-moi, pardonnez-moi. Veuillez dire un De profundis au moment de ma mort, et demain une messe pour moi. » Pirot, qui suffoquait de larmes et de sanglots, eut à peine la force de répondre.

Descendue du tombereau, prête à monter l’échelle, elle trouva au pied l’exempt Desgrais, qui, on ne sait pourquoi, venait là, au dernier moment, lui donner la tentation de haïr et maudire encore. « Monsieur, lui dit-elle en grande douceur, je vous ai donné bien du mal. Excusez-m’en. Faites prier pour moi. Je suis votre servante, et telle je vais mourir. » On assure qu’elle dit encore : « Quoi ! il n’y aura donc pas de grâce !… Et pourquoi, de tant de coupables, suis-je la seule que l’on fasse mourir ?… » Pirot nie qu’elle l’ait dit ; mais qu’en sait-il ? Il n’était pas avec elle à ce moment. La foule les avait séparés.

Elle monta l’échelle « d’un air fort libre, » et le confesseur la rejoignit sur l’échafaud. Le bourreau la fit mettre à genoux devant une bûche ou billot qui était couché en large. Elle regardait vers la rivière et Notre-Dame. Pirot s’agenouilla en face d’elle, regardant vers l’Hôtel-de-Ville. Les apprêts furent très longs et menèrent jusqu’à huit heures du soir. Le bourreau mit une demi-heure à lui couper les cheveux ; ils étaient épais et serrés, mais courts, l’exempt les lui ayant déjà coupés au moment de l’arrestation. Elle se laissait tourner, manier comme il voulait ; elle était sous sa main, « comme un agneau qu’on tond avant de l’égorger. » Elle ne faisait nulle attention à tout cela, nulle à la foule qui remplissait la Grève ni aux fenêtres pleines de monde. Pour le couteau, elle ne le voyait pas : il était caché sous un manteau jeté là à côté. Il y avait aussi un couperet, mais derrière elle. « Ses yeux étaient fixés sur moi… Si j’avais à peindre un visage plein de componction et d’espoir du pardon, je ne voudrais d’autres traits que ceux-là, tels qu’ils me sont restés et me resteront toute ma vie. » Les yeux ouverts très grands, elle cherchait avidement en lui la force,- les moyens de la grâce. De temps en temps, des larmes lui tombaient en grosses gouttes, comme d’une pluie d’orage. Était-ce douleur et repentir, ou frémissement de la nature à ce moment cruel ? Tous les deux peut-être à la fois.