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des banalités glaciales, des textes historiques mal compris et mal appliqués. Voilà comme l’école séchait, appauvrissait l’esprit. Le pauvre homme, du reste, n’a aucun sentiment de son insuffisance. Loin de là, il s’étonne d’avoir si bien parlé ; il en renvoie la gloire « au Saint-Esprit. »

Il ne se coucha qu’à deux heures pour se lever à quatre et demie. À six heures, il était à la porte de la Conciergerie, comme elle le lui avait fait promettre.


III

Le Palais était matinal. Il trouva déjà là le président Bailleul, qui arrivait dans son carrosse, et qui l’engagea à écrire ce que dirait la condamnée. On comptait se servir de ce récit du confesseur, comme d’une pièce quasi-juridique, pour innocenter ceux dont elle n’aurait rien dit. Déjà aussi entrait un médecin de la cour, qui semble envoyé de Versailles, et qui venait assister à la question. On sait le rôle que jouait le médecin dans ces occasions. Il tâtait le pouls au patient, afin de déclarer s’il y avait danger à pousser davantage. De cette sorte il était réellement maître de la torture, pouvait l’adoucir, la suspendre, pouvait faire taire ou faire parler.

Le soir, elle avait écrit des lettres, puis dormi deux heures d’un paisible sommeil ; mais tout le reste de la nuit elle l’avait passé en prière avec le prêtre qu’elle avait eu d’abord, et qui revint, sans doute mandé par elle. Pirot le trouva encore au matin qui lui disait adieu et qui était en pleurs. Elle s’excusa d’avoir eu ce secours étranger, et lui soumit une question qu’elle s’était posée cette nuit. « Vous me faites espérer que je serai sauvée ; mais sans doute j’irai en purgatoire. Comment une âme qui, séparée du corps, tombe aux flammes du purgatoire distingue-t-elle que ce n’est pas le feu de l’enfer ? » Vers sept heures et demie, on l’avertit de descendre pour entendre son arrêt. Elle prit son manteau et un livre de prières. On savait qu’elle avouerait, même avant la question. Donc elle eut le moindre supplice, la décapitation, et ne dut être brûlée qu’après la mort. Seulement, chose humiliante, elle dut faire d’abord amende honorable.

Pirot attendit très longtemps, six longues heures, qu’on la lui rendît. Il exprime fort bien, dans une simplicité touchante, sa vive anxiété, son agitation, sa terreur, en pensant à ce qu’elle pouvait souffrir. Après la lecture de l’arrêt, elle allait passer par la question. Abîmé de cette pensée, le cœur serré, il allait et venait, ne pouvait rester assis ni debout. Il essaya de prendre l’air, de se promener aux Pas-Perdus, aux basses galeries du Palais, pleines d’avocats, parmi les petites boutiques de libraires, de marchandes de