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Ainsi Penautier, comme elle mis en cause, mais qui n’était point son complice, n’avait en rien trempé dans la mort des Aubray.

Pirot, troublé, mais forcé d’obéir, pour se fortifier dans sa mission difficile, alla aux carmélites de la rue Saint-Jacques demander une lettre à la sœur de la Brinvilliers, qui y était religieuse. Sur la route, les bruits étranges qui couraient sur elle lui revenaient. Il craignait d’arriver. On en disait des choses effroyables. Elle faisait, disait-on, un jeu de la mort. Elle empoisonnait son mari de temps à autre ; mais toujours Sainte-Croix l’avait sauvé. Elle empoisonnait par essai, in animâ vili, des pauvres à l’Hôtel-Dieu. Elle empoisonnait par plaisir, par amitié, par charité ; que sais-je ? Dans un couvent, elle voit pleurer une novice que ses parens veulent cloîtrer. « Calmez-vous, dit la Brinvilliers, ils ne vivront pas. Je m’en charge. »

L’esprit rempli de ces terreurs, Pirot fut introduit à la Conciergerie, au plus haut de la tour Montgommery, entra dans une grande chambre où il y avait quatre personnes, deux gardiens, une garde, et, tout au fond, le monstre…

Le monstre était une toute petite femme, fine, aux yeux bleus très doux et parfaitement beaux[1]. Ce n’était point du tout la virago dont parle Mme de Sévigné d’après les contes qu’on en faisait dans le public. Elle avait le visage arrondi, agréable, la peau d’une extrême blancheur, de beaux cheveux châtains, alors coupés fort court. Nul signe de méchanceté. Quelques traits accusaient seulement une nature fort passionnée. Quand il lui passait quelque trouble dans l’esprit, elle laissait échapper une grimace convulsive de dépit, de dédain, qui d’abord eût fait quelque peur.

Dès qu’elle vit Pirot, elle remercia honnêtement un prêtre qui l’avait assistée jusque-là, exprima avec grâce et abandon sa confiance absolue dans le docteur. Il vit tout d’abord combien elle était aimée de ceux qui vivaient avec elle. Quand elle parlait de sa mort, les deux hommes et la femme fondaient en larmes. Elle semblait les aimer aussi, était bonne et douce avec eux, point fière ; elle les faisait manger avec elle à sa table.

D’abord elle posa un peu devant Pirot et fit de la bravoure, dit qu’elle voulait mourir en femme forte, qu’il y fallait peu de façons, qu’il lui suffisait d’un quart d’heure. Elle dit froidement au concierge qu’ayant tant d’affaires pour demain (la question et l’exécution), elle le priait d’avoir soin que son bouillon fût un peu moins faible. Elle parla de ses enfans, qu’elle n’avait pas demandés, de peur de s’attendrir ; elle s’arrêta bien plus sur son mari : il était hors de France et n’osait y rentrer. « Sans la crainte de ses créanciers, disait-elle,

  1. Manuscrit Pirot, f° 30.