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du mal étant tout obscurcie, plusieurs ne sentirent plus ce que c’est que le crime. Sans remords, en repos parfait de conscience, ils le conçurent et le commirent. Un matin, dans ce monde poli, gracieux et dévot, apparut l’affaire des poisons (1673-1680).


II

Le procès de la Brinvilliers, ayant été fait régulièrement en parlement, devrait exister aux archives de France ; mais les pièces ont disparu. Heureusement la Bibliothèque en possède un assez grand nombre en copies, et quelques-unes même originales. On y trouve : 1° aux manuscrits, un volume d’actes, de fragmens d’interrogatoires, et un autre volume qui contient la relation de la mort de la Brinvilliers par son confesseur[1] ; 2° aux imprimés, les principaux mémoires[2] publiés pour ou contre la Brinvilliers et Penautier[3]. On ne peut séparer ces deux affaires. Celle de la Brinvilliers reste inintelligible, si on ne la replace dans son rapport avec celle de Penautier, qu’on aurait voulu étouffer.

Pendant dix ans, une lutte d’intrigue avait eu lieu entre deux financiers, Hanyvel et Reich, qui se faisaient appeler seigneurs de Saint-Laurent et de Penautier. Le premier était receveur-général du clergé de France, place qui valait par an 60,000 livres (250,000 fr. d’aujourd’hui). Le second devint trésorier de la bourse des états de Languedoc : il enviait la place du premier, il intéressa l’amour-propre des évêques du Languedoc pour qu’ils l’associassent à Hanyvel ; mais celui-ci avait pour lui tous les évêques du nord, la majorité de l’épiscopat. Enfin, Hanyvel étant mort subitement (1669), Penautier succéda. Déjà deux morts subites l’avaient fait énormément riche. Ce financier d’église, homme doux et dévot, demeurait rue des Vieux-Augustins, fort à portée des halles, où ses commis prêtaient à la petite semaine. Le peuple, voyant là rouler tant d’or, imaginait que, dans cette maison, on faisait de la fausse monnaie, de la magie peut-être. Dans une descente de justice qui s’y fit, on ne trouva rien de suspect, sauf une tête de mort, qui témoignait plutôt de la dévotion de ce bon personnage et des pensées pieuses qu’au milieu des affaires il gardait pour l’éternité.

Chose assez surprenante dans un homme si bien posé, il avait pour intime ami un jeune homme sans consistance, il est vrai, très pieux, le nommé Sainte-Croix, bâtard de grande maison à l’en croire, qui avait été capitaine de cavalerie ; mais depuis, touché de

  1. Supplément français, 194, 250.
  2. L’article de Richer Causes célèbres est copié sur un de ces factums, fort inexact. Tous les biographes l’ont suivi.
  3. Collection Thoizy, Z, 2, 284.