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III.


Sept-Épées rendit grâces à l’obscurité qui cachait l’embarras de sa figure ; mais, quoiqu’il eût de l’aplomb quand il se sentait dans son droit, il fit de vains efforts pour parler naturellement et à propos. Gaucher n’y prit pas garde ; Tonine, qui s’en aperçut tout de suite, parut vouloir venir à son aide.

— Je pense, compagnon, lui dit-elle avec sa petite gaieté douce qui ne la quittait guère, même quand elle avait le cœur gros, que vous ne venez pas à cette heure-ci pour parler à Gaucher du temps qu’il a fait aujourd’hui et de celui qu’il pourra faire demain. C’est donc moi qui vous gêne. Je vais coucher Rosette et reviendrai voir si, à moi aussi, vous avez quelque chose à dire quand vous aurez causé avec mon cousin.

Sept-Épées crut voir là un encouragement qui mit fin à ses incertitudes. Selon sa coutume de revenir à la défensive quand il s’imaginait être attaqué dans sa liberté, il se hâta de répondre pour empêcher Tonine de s’en aller, et s’asseyant en face d’elle sur une chaise qui lui barrait le passage : — Si je croyais, lui dit-il, que vous ne me serez pas contraire, je parlerais peut-être de ce que vous donnez à entendre ; mais, aujourd’hui comme les autres jours, vous avez l’air de vous moquer de moi, et dès lors…

— Dès lors, quoi ? fit Gaucher, étonné de la tournure que prenait la conversation. Je voudrais bien savoir à qui vous en avez tous les deux.

— Expliquez-vous, dit Tonine à Sept-Épées, et laissez-moi porter à sa mère cette Rosette qui s’endort.

— Donne-la-moi, dit Lise, qui vint sur la porte ; c’est tous les trois ensemble qu’il faut vous expliquer. Sept-Épées est venu pour cela, je le sais ; toi aussi, je m’en doute. Il n’y a donc plus à reculer.

Elle prit sa fille et rentra. Gaucher, surpris, exhorta Sept-Épées à parler. Tonine attendit qu’il parlât. Sept-Épées, cherchant une échappatoire qui ne venait pas, demeura plus muet qu’une souche.

Tonine sentit deux grosses larmes couler sur ses joues. Peut-être, s’il les eût vues, Sept-Épées eût-il été vaincu ; mais il ne les vit pas, et Tonine comprit qu’elle devait tout prendre sur elle.

— Ne boudez pas, compagnon, dit-elle d’un ton enjoué, qu’elle mit toute sa fierté et tout son courage à soutenir ; je ne vous suis pas ennemie et je ne vous méprise pas. Je vous sais honnête homme et bon ouvrier ; mais je n’ai guère l’idée de me marier à l’âge où je