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applicable non-seulement à l’Autriche, mais encore à la plupart des nations européennes. Il y a cinq ans, une fièvre industrielle se déclarait partout. Il semblait qu’on n’eût de précautions à prendre que contre les excès du travail pacifique ; on craignait les tendances matérialistes, on revendiquait pour des besoins d’un autre ordre une part des préoccupations générales. Vaines terreurs et prévisions erronées ! Quatre ans se sont à peine écoulés, et l’Europe entière retentit du bruit des armes. Les passions guerrières s’y sont rallumées ; l’ère de paix semble à chaque heure sur le point de se clore pour un avenir indéfini. Seule protégée par son éloignement, la Russie, premier auteur de l’ébranlement universel, se réfugie en des soins intérieurs, comme sans remords d’avoir allumé un si vaste incendie. Faut-il croire à ces tristes symptômes, ou l’inquiétude se calmera-t-elle ? Verrons-nous recommencer une longue période de paix et d’activité industrielle, ou bien les querelles soulevées suivront-elles leur cours ? Quoi qu’il en soit, dans l’une comme dans l’autre hypothèse, les questions posées offrent la même importance. En cas de guerre, le rôle de l’Autriche peut être grand, profitable ou nuisible à de nobles causes ; il convient donc de rechercher les élémens de sa force ou de sa faiblesse, et de s’assurer si des moyens suffisans justifient une ambition qui n’a jamais cessé d’être vaste au milieu même des plus rudes épreuves infligées par la Providence.


I. — DIFFICULTES POLITIQUES ET RELIGIEUSES.

L’Autriche possède une administration, mais elle n’a pas de régime administratif proprement dit. Le gouvernement est servi par des fonctionnaires, mais ceux-ci n’obéissent point à des lois établies, à des règles fixes. L’arbitraire et le provisoire règnent et durent depuis si longtemps, qu’ils semblent presque passés à l’état de mal chronique et incurable, aussi bien que l’usage du papier-monnaie. On a exposé ici même[1], avec une autorité qui révélait l’expérience d’un administrateur éclairé, les vices d’une situation dont l’origine remonte à la désorganisation produite en 1806 par la substitution de l’empire d’Autriche à l’empire d’Allemagne. Des deux moitiés du nouvel empire, l’une, composée des provinces allemandes, possédée autrefois seulement comme fief impérial, perdit alors ses droits et sa législation pour tomber sous le régime d’un arbitraire absolu. L’autre moitié, formée de la Hongrie, de la Transylvanie, d’autres provinces encore, possédée à titre souverain par les successeurs du premier roi élu, garda jusqu’en 1858 une partie de son organisation

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1858.