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sent marcher de la sorte aussi aisément qu’on a paru le supposer au premier abord. La procédure d’une telle annexion est nécessairement compliquée. D’après le statut piémontais, le roi de Sardaigne ne peut faire de cession de territoire sans la sanction du parlement. Il faudra donc que la cession de la Savoie soit discutée et votée par le parlement sarde. C’est une chose grave que la cession d’une province, quand elle n’est point faite sous le coup d’une force majeure : une assemblée parlementaire doit évidemment, en pareil cas, subordonner son vote à l’assentiment des populations intéressées. Si la conquête s’appuie sur le droit de la guerre, nous croyons que le droit de la paix ne saurait permettre dans un pays libre que des populations soient transférées d’un état à un autre, changent de nationalité à leur insu et sans avoir fait connaître leurs vœux. Ceux mêmes auxquels le suffrage universel inspire le moins de confiance admettront qu’en pareille circonstance les intéressés ont bien le droit de le revendiquer. Ce n’est pas néanmoins la seule difficulté qu’on rencontre ici. Qu’un peuple en révolution, abandonné par son gouvernement ou l’ayant renversé, élève par l’élection un pouvoir nouveau, ou se donne à une puissance par la manifestation des suffrages, cela se conçoit et se justifie au besoin par la nécessité ; mais qu’une population dont rien encore n’a rompu les liens qui l’attachent à son gouvernement régulier et légitime soit mise en demeure de changer de souverain par un simple vote, c’est un fait sans précédent, et qui embarrasse quelque peu la raison. Les plébiscites introduits dans le droit européen comme moyen de disjoindre ou d’acquérir des territoires en pleine paix ne seraient point une des révolutions les moins étranges du temps curieux où nous avons l’honneur de vivre. Supposons ce problème résolu et ce mode d’annexion accepté par les grandes puissances, il y aurait encore une difficulté sur la façon dont la question devrait être posée aux populations savoisiennes, admises à prononcer sur leur sort. La Suisse, on le sait, dans le cas où la Savoie serait séparée du Piémont, réclame, comme garantie de sa neutralité, le Chablais et le Faucigny. Les Suisses, dit-on, défendent avec tant de chaleur leurs prétentions, qu’ils vont jusqu’à déclarer que, si l’on ne fait pas droit à leurs demandes, si les grandes puissances reculent devant la défense de la neutralité helvétique, la confédération renoncera elle-même à un régime dont elle n’aurait plus que les inconvéniens sans en avoir les avantages, et mettra fin à sa neutralité pour entrer dans le système des alliances. Une telle extrémité dénaturerait la confédération suisse, et deviendrait une source de difficultés sans nombre au sein de l’Europe continentale. Tout annonce cependant que les Suisses n’auront pas besoin d’en venir là. Les documens diplomatiques récemment publiés nous ont appris que la Sardaigne, l’Angleterre, la France elle-même, veulent que la Suisse soit satisfaite. Il y aurait donc, en cas de vote, à poser l’option pour une partie de la Savoie entre le Piémont et la France, et pour une autre partie entre le Piémont et la Suisse. Si le partage ne se faisait pas