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quelques misérables échappent à la vindicte publique, si quelques contrebandiers réussissent à tromper nos douaniers, on n’en trouve pas moins dans les comptes-rendus de la justice et de la douane des approximations et des rapprochemens pleins de valeur. Tout ce qui, de la part des agens de l’administration, donne lieu à un enregistrement périodique, surtout à une intervention active dans la vie du public, est soigneusement recueilli, noté, porté en compte, et peut servir de base à une statistique instructive.

Peut-il en être de même quand il s’agit d’actes ou de phénomènes à l’accomplissement desquels ne se rapporte aucun devoir à remplir, aucun droit à exercer par des intéressés quelconques, quand il s’agit, en un mot, de recherches purement théoriques, abstraites ou spéculatives ? Quel que soit l’auteur de semblables études, son travail ne doit-il pas se ressentir du manque d’un sérieux contrôle ? L’amour de la science peut, j’en conviens, suffire pour soutenir le zèle d’un simple particulier ; suffit-il toujours pour l’éclairer ? suffira-t-il souvent si, au lieu d’un auteur responsable dans son avenir ou dans sa réputation, nous avons affaire à une commission de collaborateurs anonymes et irresponsables ? Quand on consulte le livre d’un inconnu, un examen critique et sévère doit, tout le monde en convient, précéder l’adhésion du lecteur : eh bien ! une prudence analogue est encore de mise même vis-à-vis des publicistes en renom et des maîtres de la science, quand il s’agit de travaux considérables entrepris sur des bases nouvelles ou relatifs à des faits nouveaux. Il faut n’accepter que sous bénéfice d’inventaire la leçon qu’on est en mesure d’analyser, et vérifier autant que possible les chiffres sur lesquels on a envie de régler sa conduite ou son thème. Cette sage réserve, il faut encore l’étendre aux publications qui paraissent le plus revêtues d’un incontestable caractère d’exactitude et d’authenticité, aux documens édités par l’administration elle-même, lorsque ces documens sont relatifs à des faits qui, par leur nature, échappent à une application pratique immédiate. Les unités qui forment la base du travail ont-elles été consciencieusement fournies, soigneusement recueillies ? Dans quelle proportion ont-elles pu échapper à toute enquête ? Les renseignemens obtenus ont-ils été exactement réunis, utilement rapprochés ? Que de questions encore seraient à poser avant de déterminer le degré de confiance dont est digne une statistique théorique quelconque ! Comme exemple, je prendrai et j’analyserai dans plusieurs de ses détails la Statistique agricole de la France, qui émane du ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics.

Les élémens qui constituent ce volumineux travail, dont la première partie seulement est éditée, ont été recueillis sur place par des commissions cantonales composées des hommes, agriculteurs ou administrateurs, les plus intelligens. Ces élémens ont ensuite été revus au chef-lieu d’arrondissement, vérifiés encore, si je ne me trompe, par une commission départementale, et enfin classés et révisés une dernière fois dans les bureaux mêmes du ministère. Évidemment toutes les conditions imaginables de perfection semblent,