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richesses considérables avant les expéditions d’Asie et l’administration de Cimon. Pendant les années qui suivirent la bataille de Salamine, toutes les ressources publiques et privées furent employées à relever les murs, les édifices, les maisons, à construire une ville nouvelle en un mot, en même temps qu’on équipait des flottes et qu’on subvenait aux lourdes charges de la guerre.

Au contraire, lorsque le grand roi eut juré de tenir ses vaisseaux loin des mers de Grèce, lorsqu’Aristide eut réglé la contribution que devaient payer les alliés, lorsqu’Athènes eut enlevé à Sparte l’hégémonie de la Grèce, lorsque Cimon eut ramené ses flottes chargées des dépouilles de l’Asie, une ère de paix et d’opulente grandeur s’ouvrait pour Athènes. Elle eut tout le loisir de s’orner de monumens et de statues, elle eut des trésors à distribuer aux artistes ; mais, quoiqu’à chacune de leurs œuvres elle pût attacher le nom d’une victoire différente, elle dédaigna Salamine, Platées, Mycale, l’Eurymédon, Éphèse, pour répéter partout un nom qui pour elle seule était un titre de gloire. Il fallait un prétexte : on inventa la dîme de Marathon. L’influence de Cimon, tout-puissant depuis l’exil de Thémistocle et la mort d’Aristide, ne fut pas étrangère à cette préférence. S’il n’osait, dans une démocratie jalouse, célébrer ses propres exploits, il consacrait au moins ceux de son père Miltiade. Ainsi, par ambition ou par piété filiale, le chef de l’état encourageait la vanité des citoyens. Cimon revint à Athènes en 468 ; son administration ne commença véritablement qu’après la conclusion de la paix avec la Perse. C’est à cette époque qu’il est naturel de placer les œuvres destinées à immortaliser Marathon et Miltiade. Phidias avait alors environ vingt-huit ans.

De tous les emprunts que l’art grec a faits à l’Asie, un des moins heureux est peut-être le goût des statues colossales. L’énormité n’est qu’une fausse grandeur, et l’étonnement ne doit pas se confondre avec l’admiration. Il y a cependant des cas où les proportions gigantesques n’ont rien que d’heureux et de nécessaire : par exemple, lorsqu’une statue est placée à une grande élévation ou doit être vue de loin. Alors le sculpteur se règle sur les lois de la perspective et grossit les objets à mesure que l’image décroît. C’est ce qui arriva pour la statue de Minerve que les Athéniens commandèrent à Phidias en souvenir de Marathon. Elle s’élevait sur le rocher de l’Acropole, haut lui-même de quatre cents pieds, et de là dominait la ville, la plaine, tout le golfe d’Athènes. On distinguait encore la pointe de sa lance et l’aigrette de son casque après avoir doublé le cap Sunium. En matière d’art, les idées les plus poétiques n’ont aucun sens tant que l’exécution ne les a pas justifiées. Ici tout se rencontre, et les conditions qui sauvent les invraisemblances du genre