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pensée comme un miroir reproduit une image, tandis qu’une statue, c’est la matière vaincue qu’ils façonnent à leur gré et qu’ils sentent s’animer dans leurs mains. Leur idéal prend un corps : il ne se voit pas seulement, il se touche. La Genèse, cherchant pour la création de l’homme la figure la plus forte, l’emprunte à la sculpture : « Dieu prend le limon de la terre et le pétrit. » Dans le paganisme, quel ne devait pas être l’orgueil de l’artiste ! C’étaient des dieux qu’il créait, et l’univers adorait sa pensée.

Cependant Phidias ne quitta pas si vite la peinture qu’il ne s’y fût déjà distingué. Aradus, une île phénicienne, se vantait de posséder un de ses tableaux, s’il est permis du moins d’ajouter foi au témoignage de Clément d’Alexandrie. Le portrait de Périclès paraît plus authentique. Pour rendre immortels les traits de celui qu’on surnommait le Jupiter olympien d’Athènes, Phidias se souvint des essais de sa jeunesse et redevint peintre ; mais afin que cette distinction fût plus glorieuse encore, il ne voulut le redevenir que pour son ami. Il est vrai que les expressions de Pline ont paru présenter un tout autre sens, et l’on a dit que c’était le temple de Jupiter olympien que Phidias avait décoré de peintures. J’avoue que cette idée séduit au premier abord l’imagination. On aime toujours à exalter le personnage dont on écrit l’histoire ; c’est pourquoi je souhaiterais que Phidias aussi eût fait sa chapelle Sixtine, et qu’il eût couvert de grandes compositions un édifice magnifique. Il est certain pourtant que Jupiter olympien n’avait qu’un temple à Athènes, celui qu’avait commencé Pisistrate. Non-seulement ce temple resta inachevé pendant de longs siècles, mais les Pisistratides l’avaient à peine conduit à une faible hauteur, de sorte qu’on ne pouvait en admirer que le plan. Au second siècle avant notre ère, Antiochus Épiphane, roi de Syrie, entreprit de continuer cette œuvre gigantesque : Cossutius, son architecte, construisit alors la cella et le double péristyle qui l’entourait. Par conséquent la cella, c’est-à-dire le temple lui-même, n’existait pas au temps de Phidias. Comment donc l’eût-il ornée de peintures ? Où placer même des tableaux détachés ? Il faut s’en tenir au portrait de Périclès. Panaenus (c’est un rapprochement assez curieux) était célèbre par ses portraits à une époque où l’art était encore loin de sa perfection. Il avait représenté au naturel, sur les murs du Pœcile, les héros de Marathon, Miltiade, Callimaque, Cynégire.

La plupart des hommes qui embrassent et quittent successivement des carrières différentes ne font qu’épuiser leurs forces en les disséminant : en tout, ils demeurent médiocres. Au contraire, pour les natures privilégiées, se multiplier c’est grandir. Les années consacrées par Phidias à l’étude de la peinture ne furent point perdues pour son talent de sculpteur ; elles eurent une salutaire influence,