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a modelé sa constitution sur celle de la république. Le gouverneur (gobernador) ou président, qui, lors de mon séjour à Rio-Hacha, n’était qu’un simple épicier et marchand d’écaille de tortue, est chargé de veiller à l’exécution des lois, d’expédier des rapports au gouvernement central, de conserver les archives de la commune et de faire publier les actes officiels ; comme les juges et tous les autres fonctionnaires, il est nommé à la majorité des voix. La chambre des représentans, composée des mandataires des villes et bourgs de la province, se réunit dans une ancienne église à demi ruinée, dont le nom sonore est aujourd’hui palacio de la Libertad ; là, sous les yeux de leurs concitoyens admis à la barre de l’assemblée, ils discutent sur les voies et moyens, l’entretien des sentiers, l’achat de livres et de brochures pour la bibliothèque communale, les diverses questions d’intérêt local. Il va sans dire qu’à l’exemple de toutes les assemblées délibérantes du monde entier, celle-ci, qui ne se compose pourtant que de vingt-quatre membres, se divise en gauche, en centre et en droite. Cette dernière fraction, formée surtout de riches propriétaires, est en général satisfaite de la marche des choses, et cherche à prévenir toute discussion sérieuse en réclamant l’ordre du jour ; d’ordinaire la droite dispose de la majorité des voix. La gauche, moins nombreuse et moins bien disciplinée, finit cependant par faire passer tous les projets d’intérêt public, grâce à l’appui que lui donnent la jeunesse et le journal intermittent publié par les libéraux. Intermittent, ai-je dit : en effet, à l’époque de mon séjour à Rio-Hacha, ce journal paraissait à intervalles irréguliers, comme la plupart des publications périodiques de la Nouvelle-Grenade, et n’avait d’existence sérieuse qu’aux époques des élections ou d’une grande agitation politique. On ne se doute guère des difficultés que rencontre un rédacteur de journal à la Nouvelle-Grenade. Compositeurs, prote, imprimeurs, refusent de travailler quand ils n’y voient aucun intérêt patriotique pressant, et, s’érigeant eux-mêmes en comité de censure, débattent l’utilité de la publication ; selon les circonstances, ils donnent ou refusent leur imprimatur. Autant ils semblent redouter le travail lorsque des questions graves ne préoccupent pas l’esprit public, autant dans les grandes occasions ils mettent de feu au service de la cause ; ils passent alors le jour et la nuit à l’imprimerie, composent à la hâte le journal et des appels au peuple, puis se font afficheurs et distributeurs, parcourent la ville et annoncent les nouvelles comme des crieurs publics. Derrière eux se forment des attroupemens composés également de jeunes gens enthousiastes qui s’emparent des exemplaires, pénètrent dans la salle des délibérations de l’assemblée et déploient ostensiblement les feuilles encore humides et les gigantesques