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seul. S’étant replié de l’avant-garde sur le centre, il avait contribué avec la cavalerie, mise en désordre par les arquebusiers espagnols, à rompre l’ordonnance des Suisses, et avait quitté précipitamment le champ de bataille. Sa fuite, qui fit sa honte, deux mois après causa sa mort. Avec lui se sauvèrent quelques centaines d’hommes d’armes et quelques milliers de fantassins, qui parvinrent à franchir le parc et remontèrent en désordre vers Milan. Ils y portèrent la funeste nouvelle de la bataille perdue. Théodore Trivulzi, à qui avait été laissée la garde de cette ville, en sortit sur-le-champ et prit avec sa troupe le chemin des Alpes ; les vainqueurs étaient embarrassés du grand nombre de leurs prisonniers ; ils renvoyèrent quatre mille soldats français et suisses, qu’ils auraient dû nourrir et dont ils n’auraient rien tiré, en leur faisant promettre de ne pas servir de quelque temps ; mais ils convinrent de ne pas mettre tout d’abord à rançon les principaux seigneurs et les grands personnages du royaume tombés entre leurs mains et de les retenir sous une étroite surveillance.

La défaite de Pavie n’était pas seulement un immense revers, c’était encore un redoutable danger : elle décidait du sort de l’Italie et exposait la sûreté de la France, en rendant certaine la perte de l’une et probable l’invasion de l’autre. L’implacable duc de Bourbon demandait à opérer cette invasion sur-le-champ. À la suite d’une bataille aussi décisive, qu’il avait contribué à gagner comme à livrer[1], rempli d’une joie orgueilleuse, emporté par ses opiniâtres ressentimens, enivré d’ambitieuses espérances, il voulait déposséder au profit de Henri VIII l’infortuné prisonnier de Charles-Quint. Plus confiant que jamais, il renouvela au roi d’Angleterre la proposition de le faire avant peu roi de France[2], en assurant que rien désormais ne s’opposerait à la prise de possession d’un pays privé de chef et dépourvu de défenseurs. En effet, sans roi, sans capitaines, sans armée, sous le coup de ce grand désastre et dans un semblable dénûment, tout était à craindre pour le royaume de France, si l’ennemi se montrait aussi habile qu’il avait été heureux.


F.-A. MIGNET.

  1. Lettre de sir John Russell à Henri VIII, écrite de Milan le 11 mars 1525. — Mus. Brit. Vitellius. B. VII, f. 77.
  2. Le duc de Bourbon écrit dans ce sens à Henri VIII le 10 mars. — Mus. Britann. Vitellius. B. VII, f. 76