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les généraux qui la commandaient ne pouvaient pas la tenir longtemps réunie, ils n’avaient pas d’argent et ne savaient comment s’en procurer ; il était dû aux troupes des sommes considérables, et il fallait 130,000 ducats par mois[1]. Les Espagnols ne recevaient plus rien, et à peine avait-on donné aux lansquenets récemment levés le warlgelt ou arrhes d’enrôlement, sans pouvoir leur remettre un florin de la solde de campagne. Bien qu’ils fussent zélés pour la cause impériale, leur dévouement n’aurait pas résisté au défaut prolongé de paie. Le duc de Bourbon et le marquis de Pescara furent d’avis de les conduire au plus tôt vers le Tessin, afin d’y attaquer le roi de France s’il acceptait la bataille, ou de délivrer Pavie s’il la refusait.

Cette ville était toujours étroitement bloquée ; François Ier, enfermé dans ses retranchemens, campait autour d’elle depuis trois mois ; il la croyait hors d’état de tenir plus longtemps, et il s’attendait d’un moment à l’autre à ce qu’elle capitulât. Il la serrait de si près que rien n’y pénétrait ; la pénurie y était fort grande : dès le mois de novembre, on n’y avait plus mangé de viande de bœuf, de mouton, et les bouchers avaient été réduits à abattre les chevaux, les mulets, les ânes, dont ils vendaient la chair sur leurs étaux. Le bois manquait ainsi que le pain, et dans les rigueurs d’un hiver fort rude, on démolissait les maisons et les églises afin de se chauffer avec les poutres, les planches et les boiseries qu’on en tirait. L’argent n’y était pas moins rare, et les lansquenets demandaient incessamment leur solde ; ils étaient prêts à se battre ou résignés à souffrir, mais à la condition qu’ils seraient payés. Antonio de Leyva avait fait monnayer les vases des églises et les flambeaux d’argent de l’université ; il avait levé à plusieurs reprises des emprunts sur les nobles et sur les marchands de la ville, il avait même fondu une magnifique chaîne d’or qu’il avait au cou ; enfin il s’était servi d’une somme de 3,000 ducats que deux Espagnols venus du camp impérial avaient introduite à grand’ peine et à l’aide d’un stratagème dans Pavie, pour distribuer de temps en temps aux troupes une partie de ce qui leur était dû. Il continuait avec ses infatigables soldats à défendre la ville assiégée contre les Français, dont il repoussait les attaques par de continuelles sorties[2]. Malgré la vigueur opiniâtre de sa résistance, il était exposé à succomber d’un moment à l’autre, faute de vivres et même de munitions, lorsque parurent du côté du nord les enseignes des impériaux.

  1. Lettre de Lannoy à Charles-Quint, du 25 novembre 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  2. Tous ces détails sont tires de F. Tœgius, qui rend compte jour par jour de ce qui se passe dans Pavie et des sorties d’Antonio de Leyva, du 21 décembre au 22 janvier 1525.