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Je lui disais que cette coiffure, fort bonne pour l’Afrique, avait un défaut dans nos luttes corps à corps avec la cavalerie russe, et je lui citais l’exemple d’un sous-officier de chasseurs d’Afrique, du 4e qui avait eu la tête fendue à Balaclava. « Venez donc luncher avec moi demain, me dit-il ; je vous montrerai quelque chose. » J’acceptai son aimable invitation. Après le luncheon, il ne paraissait plus songer à l’objet dont il m’avait parlé, car il était aussi modeste que brave. Je lui rappelai sa promesse. Il alla dans le fond de sa tente, et m’apporta son casque, qui était littéralement fendu jusqu’à un foulard qu’il avait eu le bonheur de mettre dedans. C’était un hussard russe, dans la charge de la grosse cavalerie, qui l’avait gratifié de ce coup. — Un bon revolver m’en a heureusement débarrassé, me dit-il. Vous voyez que nos casques ne sont pas plus que vos képis d’Afrique à l’abri du poignet de ces gaillards-là. — Quelle coiffure faudrait-il donc adopter, repris-je, pour parer le point le plus vulnérable du cavalier ? — Il y a deux choses, me répondit le colonel : ou arriver à la parade, ce que j’ai oublié de faire ce jour-là, ou prendre ceci, — me dit-il en courant chercher un shako de hulan russe qui gisait dans un coin de la tente. Et il se mit avec un sabre à frapper dessus sans en entamer un morceau. — Apportez-moi une hache, cria-t-il à l’un de ses dragons ; la hache fut apportée. Le colonel avait la main vigoureuse ; la hache ne fut pas plus heureuse que le sabre sur ce shako informe. — Parbleu, repris-je en riant, on dit que le souverain de toutes les Russies est souvent volé ; au moins il tient là un fournisseur consciencieux.

S’il ne fut pas donné à la cavalerie régulière d’inaugurer la campagne d’Orient, c’est à elle qu’appartint l’honneur de la clore. Le dernier combat livré sur la terre de Crimée est celui de Koughil, où cette cavalerie se couvrit de gloire. Sébastopol venait de tomber ; mais la guerre durait encore. Le maréchal Pélissier, pensant que ses phalanges pourraient bien avoir à lutter en rase campagne avec l’armée russe, avait envoyé à Eupatoria une partie de sa cavalerie,— » le 4e de hussards, le 6e et le 7e de dragons, — sous les ordres du général d’Allonville. À Balaclava, on avait pu reconnaître le danger de ne point imprimer à la cavalerie une direction spéciale ; l’affaire du 31 décembre avait fait ressortir la supériorité de nos réguliers sur les Cosaques : le combat de Koughil mit en plein relief les bons résultats d’une large initiative laissée aux chefs de cavalerie. Le maréchal Pélissier avait compté sur le général d’Allonville pour rejeter au loin les troupes que les Russes entretenaient autour d’Eupatoria, et menacer ensuite la grande ligne de communication de l’ennemi, de Simféropol à Pérécop. Ses espérances ne furent pas trompées. Le 29 septembre 1855, le combat se livrait à Koughil. La cavalerie