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jadis fait battre nos cœurs ; mais, pour l’intelligence de cette histoire, nous devons dire en quelle situation se trouvait alors la terre des Magyars. Le tsar Nicolas s’était décidé à intervenir et à faire ce « miracle » qui se renouvelle sans cesse pour sauver l’empire d’Autriche. Ce que les cabinets européens appelaient alors « l’insurrection hongroise » était cerné de tous côtés ; le peuple, il est vrai, s’était levé en masse, et des prêtres marchaient à sa tête. Le patriotisme enfantait des prodiges ; mais que pouvait-on contre les armées qui entouraient la Hongrie d’un cercle de mort ? À l’ouest, l’armée autrichienne, retranchée dans Presbourg et commandée par Haynau, allait se mettre en marche, aidée d’un corps russe sous les ordres de Paniutine ; au sud-ouest, Nugent se préparait à tomber sur les comitats situés entre la Drave et le Danube ; au sud, le ban Jellachich, les Austro-Serbes ravageaient le pays, et deux armées russes menaçaient la Transylvanie ; au nord-ouest, les Russes du général Grabbe se disposaient à franchir la frontière de Moravie ; au nord, le vieux Paskievitch dirigeait le gros de l’armée russe. Déjà l’on pouvait prévoir le dénoûment de la lutte. Partout ce n’était plus qu’une guerre d’extermination. Considérés comme rebelles, les Hongrois pris les armes à la main étaient pendus sans autre forme de procès ; on usait de représailles à l’égard des soldats de l’armée autrichienne. Point de quartier ! semblait être le mot d’ordre général. Les terres étaient dévastées, les puits empoisonnés par les cadavres, les moissons détruites, les villages brûlés ; les incendies flambaient, le sang coulait ; on n’entendait au loin que le bruit des armées en marche, et toute l’Europe regardait du côté du Danube, attentive à cette lutte d’un petit peuple contre deux grands empires.

Ce ne fut pas sans peine et sans courir plus d’un danger que Ladislas et George parvinrent à Pesth, où siégeait encore le gouvernement. Quelques jours avant leur arrivée, Görgey avait, après de longs et terribles assauts, repris Bude sur le général Hentzi ; une grande joie à cette nouvelle avait éclaté dans les cœurs et y avait ramené la confiance. Avec de continuels sacrifices, on espérait encore pouvoir repousser l’ennemi hors du sol natal, et plus d’une voix entonna la vieille chanson hongroise : « Ils seront toujours vainqueurs, les enfans d’Arpad, les enfans du soleil, et la terre des Magyars ne leur sera point arrachée ! » Hélas ! ce ne fut qu’une lueur dans les ténèbres ! Il ne fallut pas longtemps à George pour reconnaître dans quelle impasse effroyable il venait de s’engager avec une imprudence qui ressemblait à de la folie. — J’en ai vu bien d’autres ! lui disait Ladislas ; nous en sortirons. — George secouait la tête et pensait à ce petit salon de Pauline où il avait passé des heures si douces, maintenant si regrettées.