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ses lèvres pâles, il remit le petit garçon entre les bras de sa mère, et parlant à Pauline avec une voix pleine de soumission : — Je vous rends votre fils, lui dit-il, laissez-le retourner à ses joujoux. — Il avait regardé l’enfant, et pensant à sa propre mère, dont le souvenir pesait toujours en lui, il avait su refouler dans son âme les sentimens qui l’obsédaient.

Ces luttes se renouvelaient, et c’est par miracle qu’ils résistaient encore. Au fond, ils se sentaient perdus ; mais comme il arrive presque toujours en pareille circonstance, quand l’un faiblissait, l’autre se relevait, et c’est ainsi qu’ils marchaient dans la route choisie par eux-mêmes vers un but qu’ils n’osaient plus prévoir. Ils savaient bien, par exemple, que si une chute longtemps évitée venait enfin les surprendre, elle serait irrémédiable. Ni l’un ni l’autre, avec la passion qui les dévorait, ne se serait accommodé de ces compromis douteux que voilent les convenances et qu’acceptent les âmes froides. Ils apercevaient alors au bout de leur horizon une séparation éclatante, un grand scandale en un mot, et ils fermaient les yeux comme pour chasser cette vision funeste. Les suites de leur amour eussent été si graves que parfois leur amour en semblait paralysé. Ils se soutenaient mutuellement dans leurs heures de défaillance. — Vertu ! tu n’es pas un vain mot ! s’écriait parfois Pauline, épouvantée de ses propres pensées.

Un jour elle laissa tomber sa tête alourdie sur l’épaule de George et pleura beaucoup, sans parler. Il se pencha vers elle, et lui serrant la main, comme on fait à ceux dont on ne peut soulager la souffrance : — Du courage, ma pauvre âme, lui dit-il, puisque le bonheur n’est pas fait pour nous !

Ce jour-là, il fut le héros ; le lendemain, ce fut elle qui le releva d’une crise de faiblesse. L’idée de la mort, d’une mort commune et volontaire, leur traversa une fois l’esprit ; ils en parlèrent avec exaltation, en des termes qui prouvaient l’affollement de leur cœur. Le petit Firmin, qui entra chez sa mère en caracolant sur un bâton, fit évanouir ces absurdes fantômes.

De tels combats s’inscrivent en lignes indélébiles sur le visage des lutteurs, et Mme d’Alfarey s’inquiéta bientôt de l’altération profonde qu’elle remarquait sur les traits de son fils. Puisant la plupart de ses convictions dans l’expérience et les souvenirs de sa propre vie, elle ne croyait guère à la vertu, qu’elle appelait volontiers, chez les femmes, un raffinement de coquetterie. Après avoir vainement essayé d’arracher quelque confidence à George, elle alla résolument faire une visite à Pauline. Tout ce que l’usage du monde et l’habitude des mots à double entente peuvent donner d’astuce, elle l’employa pour découvrir le fond de l’âme de la jeune femme, qui, sans se laisser