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cette recherche, et n’ont pas compris que je l’eusse repoussé ; mais une nature loyale comme la sienne ne pouvait s’y méprendre : il a senti que ses nobles qualités avaient mieux à m’offrir qu’une galanterie coupable, et il est devenu pour moi un de ces amis sur lesquels on peut compter pour toutes les choses de la vie et de la mort.

George avait écouté en silence ce long récit, dont la sincérité le frappait ; il baisa les mains de Pauline. — S’il est votre ami, dit-il, il sera aussi le mien.

Mais les souffrances qui le remuaient depuis la veille avaient épuisé ses forces ; il éclata tout à coup en sanglots, et, serrant Pauline contre son cœur, il s’écria : — Je puis encore me résigner à n’être jamais à vous ; mais si vous aimiez quelqu’un, si par malheur vous en aviez jamais aimé un autre, je vous tuerais !

Il était arrivé à un paroxysme violent ; il eut une espèce d’attaque de nerfs, et il répétait sans cesse : Sommes-nous malheureux ! sommes-nous malheureux !

Le soir, lorsque Ladislas arriva, Pauline lui présenta George. Les deux hommes causèrent ensemble, parurent s’apprécier, et se sentirent attirés l’un vers l’autre en vertu de l’affection qu’ils portaient à la même femme. Un sentiment commun, s’adressant au même objet, unit ou désunit les hommes selon la trempe de leur caractère et la hauteur de leur âme, mais ne les laisse jamais indifférens. George et Ladislas étaient faits pour se plaire, et ils se plurent. Lorsque le comte partit, reprenant sa route pour obéir à des devoirs qui l’appelaient loin de la France, il laissa un ami de plus derrière lui.

Quelques jours après, un matin que George entrait chez Pauline, elle put remarquer en lui un changement dont elle fut surprise : je ne sais quoi de hardi et de déterminé brillait dans ses yeux, ordinairement si doux ; quelque chose de bref sonnait dans sa voix, et son sourire ressemblait à une provocation. Pauline n’eût point été femme, si elle n’eût compris qu’une détermination mauvaise s’était emparée de l’âme de George, et que, las peut-être de leur vie douloureuse, il s’était dit en venant chez elle : Il faut en finir ! Elle eut peur. D’un de ces petits bruissemens des lèvres auxquels les mères excellent, elle appela son fils, qui jouait dans le salon voisin ; l’enfant accourut. Elle le garda un moment près d’elle, puis tout à coup, le saisissant dans ses bras, elle le posa sur les genoux de George, en lui disant : Embrasse ton ami !

George prit l’enfant, regarda Pauline, et dans ses yeux une lueur passa, qui semblait dire : C’est une trahison ! Il resta quelques instans immobile, évidemment en proie à un combat terrible. Peu à peu son visage reprit son calme ordinaire, un triste sourire effleura