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proposition, Richelieu, qui n’était point un cardinal à la façon de Bérulle, se mit en colère et ne se put empêcher de dire au chargé d’affaires pontifical qu’en vérité, pour lui apporter un projet pareil, il aurait pu s’épargner une si grande fatigue. Mazarin, sans s’émouvoir, répondit qu’il n’était pas à ce point fatigué qu’il ne pût encore fort bien remonter à cheval et s’en retourner en Piémont, et, se levant sur-le-champ, il salua le cardinal et se retira ; mais cette petite scène finit encore plus vite que celle de Saint-Jean-de-Maurienne. Richelieu fit courir après Mazarin, le gronda de son impatience, excusa sa propre vivacité[1], et après l’avoir comblé d’éloges pour sa belle conduite à Casal et dans le Montferrat, lui fit aisément sentir que le projet du duc de Savoie et du saint-père était absolument inacceptable et le brouillerait avec la Suisse, dont il avait si grand besoin, — avec l’ombrageux et impérieux Gustave-Adolphe, avec toutes les puissances protestantes, ses fidèles et nécessaires alliées dans le grand duel qu’il entreprenait contre la maison d’Autriche. Mazarin avait trop d’esprit pour insister ; mais il saisit cette occasion de faire obtenir à Victor-Amédée un autre et précieux dédommagement dans le Montferrat. On n’avait pas été fort content de la conduite de Charles de Gonzague, qui, depuis le commencement de la guerre, n’avait montré dans sa propre cause ni grand talent ni grande énergie. C’est sur lui qu’on indemnisa le duc de Savoie de la perte de Pignerol. Déjà le traité de Suze donnait au Piémont la ville et la forteresse de Trino ; on y joignit la ville d’Alba, qui commandait le cours du Tanaro, avec des terres dont le revenu allait bien au-delà des 18,000 écus d’or qu’on avait autrefois promis. Enfin, pour satisfaire l’amour-propre du duc aussi bien que son intérêt, Mazarin inventa cet expédient que la France ne garderait pas Pignerol du droit du plus fort, mais que Victor-Amédée la céderait librement à son beau-frère au prix de 500,000 écus. Mais il était de la dernière importance qu’une semblable convention ne parût qu’après les traités conclus à Cherasco : aussi ne fut-elle publiée que successivement et selon que l’état général des affaires le permettait. La profonde astuce du Savoyard[2] seconda merveilleusement l’habileté de Mazarin, et déroba cette intrigue à la pénétration soupçonneuse de l’Espagne. On commença par divulguer seulement, le 19 octobre 1631, la partie de la convention secrète du 31 mars, par laquelle le duc de Savoie s’engageait : 1° à ne secourir ni directement ni indirectement les fauteurs de troubles en France, la faction de la

  1. C’est Benedetti, p. 40, qui nous fournit cette anecdote.
  2. Brusoni, p. 170.