Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfaction de Schomberg et des Français, qui par leur seule attitude avaient obtenu ce grand succès et sans coup férir terminé la campagne ; mais il n’en était pas de même dans l’état-major du marquis de Sainte-Croix. On n’avait pas tardé à s’apercevoir que cet arrangement improvisé n’était pas fort glorieux à l’Espagne et tournait à l’honneur et au profit de la France. Le duc de Lerme disait hautement que Sainte-Croix s’était laissé mener par le ministre du pape[1]. Un jour même, don Martin d’Aragon, commandant de la cavalerie espagnole, s’emporta si fort contre Mazarin que celui-ci lui en demanda raison et porta la main à son épée. Il fallut que Piccolomini et d’autres officiers s’entremissent pour apaiser la querelle en obligeant don Martin à faire une réparation convenable au belliqueux représentant du saint-siège[2].

Est-il besoin de dire avec quels transports de joie fut reçue à Rome la nouvelle de cet éclatant triomphe remporté sur les ennemis de l’indépendance et de la paix de l’Italie ? On célébra la conduite de Mazarin comme un chef-d’œuvre d’habileté et de courage, et comme un service immense rendu à l’autorité pontificale. Urbain VIII fit frapper des médailles pour conserver le souvenir d’une si belle action, et, s’appropriant en quelque sorte la gloire de son ministre, dans la salle du Quirinal où étaient représentés les principaux événemens de son pontificat, il fit placer un grand tableau où l’on voyait les deux armées française et espagnole sous les murs de Casal, prêtes à en venir aux mains, et au milieu d’elles le ministre du saint-siège passant rapidement du camp des Espagnols à celui des Français, et faisant signe que la paix était faite. Le pape se plaisait à montrer ce tableau et à en faire lui-même les honneurs.


IX

La délivrance de Casal porta bientôt ses fruits : elle amena tous les heureux événemens qui suivirent, et où Mazarin prit une si grande part. Il faut voir dans les mémoires de Richelieu[3] tout ce qu’il fallut d’adresse, de constance et de fermeté au chargé d’affaires pontifical pour forcer les Espagnols à tenir leur parole et abandonner le Montferrat. À chaque ville qu’ils devaient quitter, ils élevaient des réclamations et opposaient des résistances qui ne cédaient qu’à la crainte d’une rencontre sanglante. Les deux armées étaient toujours en présence, l’une se retirant à regret, l’autre bien résolue à

  1. Benedetti, p. 36 : « Lasciarsi il marchese Santa-Croce menar per il naso dal ministro pontificio… »
  2. Benedetti, ibid. ; Brusoni, p. 165.
  3. Mémoires, t. VI, p. 341 et suiv., Benedetti, p. 35, et Brusoni, p. 165 et 166.