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donc la récompense de quarante années de service dans les conseils et dans les camps ; je n’en recueille que honte et déshonneur à la fin de ma carrière ! Les Espagnols m’ont ravi ma réputation, et en un seul jour ils m’ont fait perdre toute la gloire que j’avais acquise à force de sueur et de sang aux yeux de toute l’Europe. » Et tout à coup, s’interrompant et s’adressant à Mazarin comme à un ami, il lui demanda s’il ne connaissait pas un ermitage où il pût aller finir ses jours loin du commerce des hommes. Jugez de l’effet d’une pareille scène sur l’esprit et l’imagination du jeune Italien. Il s’efforça de consoler l’illustre vieillard et de relever son courage en lui donnant des espérances qu’il n’avait pas.

On comprend d’où partait le coup qui frappait Spinola. Les dépêches de Charles-Emmanuel qui demandaient son rappel avaient pleinement réussi à Madrid, et la mort du duc de Savoie avait été bientôt suivie de la disgrâce de son ennemi. Pour un homme dont l’honneur était la vie, cette disgrâce était un arrêt de mort. La maladie de Spinola s’aggrava rapidement ; il lui fallut quitter l’armée, et on le transporta à Castel-Nuovo-di-Scrivia. Mazarin s’étant présenté pour lui faire visite, on ne crut pas le pouvoir admettre ; mais le malade, ayant su que c’était Mazarin, voulut le voir, le fit approcher de son lit, et, se soulevant avec effort, le serra étroitement entre ses bras et l’y retint quelque temps, comme s’il l’eût pris à témoin de son innocence et de la pureté de ses intentions.

Deux jours après, un autre visiteur se dirigeait vers la Scrivia. Le vaillant défenseur de Casal, Toiras[1], meilleur juge que personne de la science et de la vigueur que Spinola avait déployées dans les dernières opérations du siège, eut la généreuse inspiration d’aller rendre hommage à son illustre adversaire. Par l’intermédiaire de Mazarin, il demanda et obtint la faveur de serrer sa main mourante. Ainsi finit, le 25 septembre 1630, à l’âge de cinquante-neuf ans, le dernier grand homme de guerre qu’ait eu l’Espagne depuis le duc d’Albe et Farnèse, toujours vainqueur dans les Pays-Bas et en Allemagne, moins heureux en Italie, et qu’Olivarès sacrifia à ses propres ombrages et aux ressentimens de Charles-Emmanuel, quand bientôt il allait en avoir un si grand besoin en Piémont, en Roussillon et en Flandre.


VII

Resté à Saint-Jean-de-Maurienne, Richelieu ne perdait pas de vue son grand objet, la délivrance de Casal, et il s’empressa de soutenir les négociations dont il avait chargé Mazarin et le courage de

  1. C’est à Benedetti que nous empruntons ce curieux détail, p. 32.