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autre, commandé par le maréchal de La Force, était à Chiavène, reliant Pignerol et Suze ; un troisième enfin marchait de Suze vers Turin par cette route étroite et difficile sur laquelle depuis longtemps le duc de Savoie attirait les Français. Le duc, avec son fils Victor-Amédée, était à Veillane, place forte à quelque distance de la route et qui la dominait. Il fallait donc passer devant un ennemi bien retranché, et qui n’avait pas moins de dix-huit mille hommes. Il n’était pas très prudent d’affronter un passage ainsi défendu ; mais une fois l’affaire engagée, la valeur française triompha de tout. Les deux généraux qui commandaient ce jour-là rivalisèrent de talent et d’audace : l’un était le brillant duc Henri de Montmorency, le fils et le petit-fils des deux grands connétables ; l’autre, le marquis d’Effiat, à la fois capitaine et politique, excellent surintendant des finances et général aussi judicieux que hardi, le sage père du présomptueux Cinq-Mars[1]. Tous deux se couvrirent de gloire et méritèrent l’éloge de Richelieu[2] et le bâton de maréchal. Charles-Emmanuel déploya en vain sa bravoure accoutumée : Veillane lui fut, le 10 juillet 1630, ce que, deux siècles plus tard, devait être à l’un de ses descendans la bataille de Novare le 23 mars 1849. Il était depuis longtemps malade, encore plus épuisé par l’inquiétude et le chagrin que par la fatigue et les années. Il songeait, dit-on[3], à abdiquer et à se retirer à Nice pour y passer ses derniers jours en simple particulier. Il n’eut pas le temps d’accomplir ce dessein. Échappé à grand’peine de la défaite de Veillane, il se réfugia à Saviglian et y mourut le 26 juillet 1630, à l’âge de soixante-un ans, dans les angoisses du désespoir[4]) : politique et militaire doué de qualités éminentes, mais prince funeste qui pensa

  1. D’Effiat est un des meilleurs serviteurs de la France dans la première partie du XVIIe siècle. Les historiens ne l’ont pas mis à sa place ; mais le témoignage solidement motivé que lui rend Richelieu, t. VII, p. 138-140, peut suffire à sa mémoire, et comme homme de guerre et comme financier. Il était à la fois surintendant des finances et grand-maître de l’artillerie, comme auparavant Sully et plus tard La Meilleraie ; il était aussi premier écuyer. Il mourut le 27 juillet 1632, dans l’expédition de Trêves et de Philipsbourg.
  2. Mémoires, t. VI, p. 179 et 180.
  3. Brusoni, p. 159.
  4. Richelieu peint ainsi la fin du duc de Savoie, t. VI, p. 196 : « Il se mit au lit, et soit d’excès de tristesse, soit que l’infection de l’air lui ait donné quelque atteinte, une petite émotion le saisit, durant laquelle, après avoir dit plusieurs fois à son fils qu’il falloit, à quelque condition que ce fût, faire la paix, il mourut comme il avoit vécu, au milieu de l’embrasement et de la ruine de ses états, desquels il se voyoit dépouillé, comme il lui avoit été prédit longtemps auparavant, et ce par une juste punition de Dieu, que celui qui, durant quarante et tant d’années de son règne, avoit toujours essayé de mettre le feu chez ses voisins, et de s’avantager injustement de quelque partie de leurs états, mourut dedans les flammes du sien propre, qu’il avoit perdu par son opiniâtreté, contre l’avis des siens et de ses alliés.