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n’arrêtèrent point le cardinal. En autorisant les démarches de Mazarin, il en avait prévu l’inutilité, et avait eu soin de réserver sa liberté d’action : il en fit bientôt usage. La lettre du jeune diplomate était du 20 février ; dans les premiers jours de mars, Richelieu entra en Savoie, et par les défilés connus, qu’il avait prudemment gardés, il s’avança rapidement vers Suze, qu’occupait toujours le maréchal de Créquy. Le duc de Savoie, trop engagé pour reculer, avait pris son parti de suivre jusqu’au bout sa destinée : il était décidé à combattre, et se tenait sur le chemin de Suze à Turin, où il avait préparé une résistance formidable, particulièrement à Veillane et à Rivoli. Il avait en outre demandé sous main à Spinola un renfort de troupes espagnoles, qui devaient ajouter la supériorité du nombre à l’avantage de la position. L’armée française courait le plus grand péril, si elle s’aventurait sur ce chemin et donnait dans le piège habilement tendu. C’est ici que Mazarin, heureux de pouvoir accorder ses secrètes inclinations avec ses devoirs publics, rendit à la France un premier et très important service : il avait pénétré le secret du duc de Savoie, et quand il sut que les renforts demandés étaient près d’arriver, il se hâta d’avertir Richelieu[1]. Celui-ci donc, au lieu de marcher devant lui et de suivre la vallée de la Doire, tourna sur sa droite, et quand on l’attendait du côté de Veillane, se porta sur Pignerol, ville et citadelle alors importante et qui était une des clés du Piémont. Il l’attaqua vigoureusement et la força de capituler le 31 mars, au moment même où Charles-Emmanuel accourait de Turin pour la défendre.

Ce succès, qui ouvrait brillamment la campagne, était dû en partie à Mazarin. La légation pontificale s’efforça d’en tirer la paix : elle s’empressa de venir à Pignerol complimenter le vainqueur et proposer sa médiation. Richelieu reçut le neveu d’Urbain VIII, le cardinal-légat, Antoine Barberini, avec tous les respects qu’il lui devait ; il se garda bien de repousser la médiation du saint-père, mais il déclara qu’il n’avait pas les pouvoirs suffisans pour l’accepter, et renvoya la décision au roi de France ; en l’attendant, il s’établit solidement à Pignerol et aux environs, s’emparant de toutes les forteresses voisines, et assurant sa ligne de communication avec Suze.

Charles-Emmanuel avait appelé à son aide l’armée impériale et l’armée espagnole. Collalto joignit ses troupes à celles du Piémont ; Spinola fit de même, mais sans se hâter beaucoup, et peu de temps après, songeant aux intérêts de l’Espagne plutôt qu’à ceux du duc de Savoie, il quitta ses deux alliés pour aller remplir son principal

  1. Benedetti, p. 24, et Brusoni, p. 155, relèvent avec raison le mérite d’un tel service, auquel ils attribuent la prise de Pignerol.