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varié de l’art militaire à notre époque. Les modifications profondes apportées dans nos armes, l’introduction des fusils rayés dans tous les régimens d’infanterie, l’apparition du nouveau canon qui a joué un rôle si important dans la campagne d’Italie, ont vivement préoccupé les tacticiens. Une foule de problèmes vient naturellement se poser devant tous les esprits sérieusement adonnés à l’art militaire. Une révolution est imminente dans cet art, envahi comme tous les autres par les progrès du siècle. Quelle sera cette révolution ? Comment la préparer et la conduire ? Telles sont les questions dont le colonel d’Azémar s’est préoccupé. Avec une ingénieuse érudition et de patientes recherches, il a réuni les opinions exprimées sur cette matière par les hommes compétens, et il a soumis ces opinions à une analyse pleine de clarté et de vigueur. Officier de cavalerie, le colonel d’Azémar devait porter une attention particulière sur ce qui intéresse son arme dans la révolution subie par les instrumens de guerre. Un grand nombre de militaires ont conçu et exprimé la crainte que le rôle si brillant de la cavalerie ne vînt à s’effacer et presque à disparaître au milieu des feux rapides et sûrs que l’on obtient des armes à longue portée. On se représente avec difficulté en effet ces charges immortelles, qui ont fait la gloire de la cavalerie française, s’exécutant, avec l’énergie et la précision qu’elles surent autrefois réunir, devant des lignes de tirailleurs armés de carabines rayées, ou en présence de batteries pouvant couvrir de projectiles toutes leurs approches à d’immenses distances. Le colonel d’Azémar répond à ces objections par un appel, qui sera certainement entendu, à toutes les ressources d’intelligence et de coup d’œil dont un commandant de cavalerie doit disposer. Plus que jamais, le terrain devra être l’objet d’une utile et rapide étude. Il faudra que la cavalerie joigne dans ses attaques l’imprévu à la célérité. On se rappelle la disposition particulière du champ de bataille qui donna à la charge de Marengo une si foudroyante efficacité. Aucun accident du sol, aucun bouquet de bois, ne devront être négligés par la cavalerie, dont tous les mouvemens seront marqués au caractère de la soudaineté et de la surprise. Des inspirations heureuses, un redoublement d’application et de science, peuvent donc obvier aux difficultés que créent les armes nouvelles. Puis enfin, comme l’a dit un ordre du jour de l’armée d’Italie cité par le colonel d’Azémar, les armes de précision ne sont redoutables que de loin, et depuis bien longtemps la furie française a su mieux que toutes les inventions du génie moderne pratiquer l’art d’abréger les distances. Cette grande qualité de notre armée continue à résider dans notre cavalerie. La charge si opportune du 4e chasseurs d’Afrique à Balaclava, le brillant combat de Koughil, et tout récemment enfin, dans cette grande bataille de Solferino, des charges fournies par divers régimens avec autant d’à-propos que d’intrépidité, prouvent que de nombreux et brillans chapitres peuvent s’ajouter encore à l’histoire de notre cavalerie. Tous les militaires liront avec intérêt les études du colonel d’Azémar. C’est une œuvre qu’il leur est indispensable de connaître, et que consulteront aussi, en dehors de l’armée, les esprits sérieux, préoccupés des grands problèmes sur lesquels reposent en définitive les destinées des peuples.

P. de Molènes.

V. de Mars.