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mont : c’est l’expression du vœu des populations intéressées au moyen du suffrage universel. La transaction est donc toute trouvée entre le cabinet sarde et notre gouvernement, si Turin ne veut pas repousser la Toscane, et si Paris tient à Nice et à la Savoie. Qu’en Toscane, en Savoie et dans le comté de Nice la question soit loyalement soumise à l’épreuve du suffrage universel et que chaque gouvernement accepte d’avance l’issue de la votation. En Toscane, où l’on avait d’abord répugné à l’emploi du suffrage universel, on s’y résigne aujourd’hui, et le baron Ricasoli se déclare prêt à en subir l’arrêt.

La discussion de la chambre des communes sur la motion de M. Kinglake relative à l’annexion de la Savoie, dont le télégraphe nous apporte aujourd’hui le résultat, n’est pas de nature à diminuer nos scrupules sur une question si étrangement engagée. L’opposition du parlement anglais à cette mesure n’ira pas assurément jusqu’à un conflit : ce n’est, si l’on veut, qu’un nuage ; mais dans un moment où l’entente cordiale entre les deux nations est réclamée par des intérêts si élevés, la pacification de l’Italie et l’application du traité de commerce, il nous paraît fâcheux que l’on n’ait pas évité de soulever ce nuage. Ainsi que nous y avions compté, M. Gladstone, par le prestige de ses conceptions financières et par l’incomparable puissance de sa parole, a remporté une victoire décisive sur le traité de commerce et le budget dont il était l’âme. Aux premières manœuvres de l’opposition, il a été visible que les tories ne voulaient pas engager sur cette question un combat sérieux. Là où les partis politiques subissent l’influence des grands intérêts matériels, il n’y a pas place pour les questions de cabinet. De nombreux membres du parti tory sont propriétaires de houillères et de forges ; ce n’était pas parmi ceux-là que l’on pouvait recruter des votes pour fermer les débouchés qui allaient s’ouvrir aux charbons et aux fers anglais. D’autres représentent des districts manufacturiers qui ont applaudi au traité de commerce ; on ne pouvait attendre d’eux un suicide électoral. Les chefs du parti tory hors du pouvoir avaient souvent recommandé les traités de commerce avec la France, et au pouvoir avaient travaillé à en conclure. M. Disraeli, du temps où il faisait des romans, avait plaisamment, dans une scène de Coningsby que M. Bright lui a rappelée, démontré l’importance d’un traité qui permettrait aux Français et aux Anglais d’écharngr au moins leurs vins et leurs porcelaines, unique moyen d’avoir de bons vins sur les tables anglaises et des assiettes chaudes sur les tables françaises. Le leader des conservateurs a raconté lui-même qu’en arrivant au pouvoir, sa première pensée avait été d’ouvrir des négociations sur la réforme mutuelle des tarifs des deux pays, et que les exigences de son budget l’avaient, bien contre son gré, empêché de pousser à bout ces pourparlers. S’exposer à faire rejeter le traité, lors même que les intérêts de plusieurs membres importans le leur eussent permis, c’eût été de la part des chefs conservateurs une inconséquence que condamnaient leurs antécédens connus.