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et non sans motifs, depuis sa malencontreuse intervention dans les négociations qui précédèrent la guerre, comme un chevalier errant à la poursuite de l’ombre d’un congrès, se plaint qu’on lui fasse tort en répandant de lui une telle opinion, et met une sorte de coquetterie dépitée à s’unir à la réserve expectante du cabinet anglais. La Russie veut la paix et la liberté de l’Italie : elle n’irait pas sans doute jusqu’à appuyer l’innovation qui permettrait aux peuples de changer leurs gouvernemens par voie d’élection ; mais en tout cas, si l’on réunit un congrès, qu’elle préférerait à une conférence, comme l’Angleterre, elle n’y voudrait entrer que sur des principes définis d’avance : il lui faut préalablement minutés, étiquetés et dûment numérotés, ces thèmes de discussion que la diplomatie dresse avec une élégance digne du notariat, et qu’elle intitule gravement, pour l’édification du public, propositions, bases ou points, suivant la mode de l’année. C’était quelque chose assurément que ces dispositions du cabinet de Saint-Pétersbourg ; malheureusement elles ne tinrent pas. Une entrevue eut lieu à Breslau entre le prince-régent de Prusse et l’empereur de Russie. La conduite des deux cours vis-à-vis du futur congrès y fut concertée. Les deux souverains décidèrent qu’ils conserveraient leur liberté d’opinion et d’action, et que chaque gouvernement devrait entrer au congrès entièrement affranchi de tout engagement sur les mesures et les principes qu’il aurait à y proposer ou à y adopter pour le règlement des affaires d’Italie. Ce qui avait amené ce changement dans les vues de la Russie, le prince Gortchakof l’expliquait à sir John Crampton vers la fin de novembre : c’était la diversité des vues qui existaient entre les puissances. Les préliminaires d’un congrès ne survivraient pas, suivant la Russie, à un débat préalable, si l’on voulait fixer d’avance des principes communs. Mieux valait, au gré du prince Gortchakof, se fier les yeux fermés aux chances de la discussion dans l’assemblée des puissances. Certes le prince Gortchakof montrait là une bien merveilleuse confiance dans l’éloquence des plénipotentiaires, ou dans l’habileté avec laquelle, escorté de son collègue prussien, il se proposait de manœuvrer, en escadron volant, d’un parti à l’autre. Cette défiance des discussions préalables, cette peur de la lumière, ne promettaient pas au congrès un sort brillant. Un congrès sans propositions, bases ou points, c’est un bal sans bougies.

L’on allait donc au congrès en aveugle et au petit bonheur. Hormis peut-être la Russie et la Prusse, il n’y avait pas deux puissances qui pussent espérer d’avance de s’y trouver d’accord. La politique incohérente et tiraillée de Villafranca pouvait-elle affronter cette incertitude ? Nous ne le pensons pas, et ce n’est pas nous qui regretterons que des conseils plus logiques et plus sensés l’aient sacrifiée à l’impérieuse force des choses. Nous prenons volontiers congé d’elle dans la dépêche de lord Cowley du 19 décembre, où elle se montre encore toute vivante. L’ambassadeur d’Angleterre y explique la marche que M. Walewski comptait suivre dans les délibérations du con-