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qui est charmant et merveilleusement accompagné, la marche reprend son thème avec une puissance et un éclat de sonorité mâle qui ont produit le plus grand effet. C’est une conception de maître que toute cette scène du troisième acte du Lohengrin.

Dans cette bruyante exhibition des principaux fragmens de l’œuvre de M. Wagner, nous avons particulièrement remarqué la Marche avec chœurs du Tannhauser, d’un grand et bel effet, quoiqu’il soit trop prolongé et que la phrase principale offre une réminiscence du génie de Weber ; l’introduction du troisième acte du même opéra, avec le chœur des pèlerins, vaste désordre d’une ambition dépourvue de fécondité, puissant effort d’un savoir incontestable qui manque d’inspiration et qui entasse des monceaux d’accords et de combinaisons sonores pour ne produire que l’ennui, la fatigue et la tristesse sur le public haletant qui écoute de si savantes misères ; enfin l’ouverture du Tannhauser, beaucoup trop vantée, et qui ne contient de remarquable que la péroraison, où, sur une longue spirale que dessinent les instrumens à cordes, les instrumens de cuivre jettent avec fracas des bouffées d’une sonorité éclatante qui enivre l’oreille sans contenter l’esprit. Dans la seconde partie du programme se trouve le meilleur morceau que nous ayons entendu de M. Wagner, nous voulons parler de la Marche des fiançailles, avec chœurs, du Lohengrin, page grandiose, d’une large et belle composition, bien que l’idée principale sur laquelle est bâtie la marche appartienne à Mendelssohn.

Il résulte pour nous des impressions diverses que nous venons de traduire que M. Richard Wagner n’est point un artiste ordinaire. Doué, comme presque tous les hommes remarquables de notre temps, de plus d’ambition que de fécondité, de plus de volonté que d’inspiration, M. Wagner a voulu, per fas et nefas, arriver à la célébrité. Ne pouvant agir simplement à la façon des vrais poètes et des génies prédestinés qui chantent leur amour comme l’oiseau gazouille, comme la fleur exhale son parfum, comme le ruisseau murmure en fécondant la rive qu’il baigne de ses eaux limpides, M. Wagner s’est fait réformateur pour les besoins de sa propre cause, et pour couvrir de l’éclat d’un système les infirmités de sa nature. Il a essayé d’appliquer à l’art musical quelques bribes de la philosophie de Hegel, telle que l’idée qu’il a émise sur le caractère du chef-d’œuvre, qui ne peut être absolu et immuable, ni exister en dehors des besoins moraux des générations. « Le chef-d’œuvre, dit M. Wagner, va toujours se faisant. » Il est le résultat du génie de l’artiste et des aspirations des hommes auxquels s’adresse le poète. Le Don Juan de Mozart, par exemple, a été créé pour une génération qui avait des croyances et des idées qui n’existent plus et qui a emporté avec elle dans la tombe la compréhension parfaite de cette merveille du plus pur et du plus divin des musiciens, en sorte que d’après cette belle théorie de M. Wagner nous, hommes du XIXe siècle, nous ne sommes plus en mesure de comprendre et d’admirer sincèrement les marbres du