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apparens peut-être, tels que les pieds de Proserpine et surtout ceux de Triptolême, c’en est assez pour donner à cette sculpture comme un aspect de vétusté qui étonne au premier coup d’œil ; mais, chose étrange, dès le second regard, ce qui prédomine au contraire, ce qui fait oublier tout le reste, c’est la vie, la libre et franche imitation de la forme humaine, la souplesse des mouvemens, la délicatesse du modelé, l’art en un mot, l’art le plus pur qui se puisse concevoir. Non-seulement ces figures sont de même famille que celles du Parthénon, aussi nobles et aussi naturelles, aussi architecturales et aussi animées, mais on y trouve, s’il est possible, comme un degré de plus de vérité et d’idéal. Je ne sais rien de plus suavement beau que le bras gauche de Proserpine qui soutient le flambeau, rien de plus exquis que son mouvement de tête et tout l’ensemble de sa pose. Comme étude de nu, les jambes, les cuisses, le torse de Triptolême me semblent au moins égaler ce que l’antiquité nous a jusqu’ici fait voir de plus fin et de plus parfait, et quant aux draperies, elles sont aussi moelleuses et aussi transparentes que celles des Parques de Phidias, et d’un dessin peut-être encore plus sobre et plus franchement soutenu.

Ainsi voilà un marbre qu’on est tenté d’abord de croire antérieur au siècle de Périclès, et qui, dès qu’on le regarde, dès qu’on s’arrête à le contempler, devient une des créations les plus certainement authentiques de cette grande époque. D’où vient cette contradiction ? Comment la main qui a dessiné d’un trait si sûr, qui a si merveilleusement modelé les cuisses et les jambes de ce charmant jeune homme, lui a-t-elle donné des pieds si longs, si effilés, si grêles, des pieds qui semblent empruntés à certaines statues égyptiennes ? Ce ne peut être faute de savoir, encore moins caprice ou distraction. Il faut absolument admettre que cette naïveté est volontaire et même intentionnelle. Je ne me charge pas d’en donner la raison. Est-ce une de ces transactions étranges auxquelles l’art grec, déjà libre et dans sa splendeur, paraît s’être soumis en quelques circonstances et en faveur de certains dieux ? Est-ce un de ces derniers hommages aux traditions hiératiques, aux souvenirs des idoles de bois, une imitation partielle des œuvres presque immobiles de la statuaire primitive ? L’explication peut paraître subtile : quelques exemples cependant, et des plus concluans, semblent l’autoriser. Les statues du fronton d’Égine, aujourd’hui conservées à Munich, n’offrent-elles pas l’inconcevable disparate de têtes qui n’ont pas l’air d’appartenir aux corps qui les soutiennent ? On sait avec quel art ces corps sont étudiés ; ils ont des mouvemens aussi libres et aussi justes, des attitudes aussi vraies et aussi naturelles que s’ils sortaient des mains de Phidias, et sur ces corps nous voyons des visages sans vie et sans intelligence, immobiles, grimaçans, hébétés,