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alors décidé qu’on promettrait toutes les voix, et qu’au moment de l’élection on en retirerait quelques-unes qui la fissent manquer. On prétendit que Colonna n’aurait pas lieu de se plaindre si, en échange des quatre voix qu’il leur avait apportées, ils lui en donnaient quatorze.

Le cardinal Colonna, se croyant assuré de tout le parti français, alla trouver le cardinal Jules de Médicis et lui demanda s’il avait le dessein de rendre l’élection interminable et s’il voulait demeurer à jamais enfermé dans cette prison. Le cardinal de Médicis lui répondit qu’il resterait dans cette prison et dans une pire plutôt que de consentir à la nomination d’un de ses ennemis et à la création d’un pape de la faction française. Le cardinal Colonna lui dit alors : — « Vous n’aurez rien de semblable à craindre et à vous reprocher. Nous pouvons avoir un bon pape, et un pape impérialiste. Vous ne sauriez vous refuser à sa promotion[1]. » Il lui désigna en même temps le cardinal Jacobaccio, qui devait réunir les vingt-deux suffrages des vieux cardinaux et du parti français, et auquel il ne faudrait plus que quatre autres voix pour être élu. Il les demanda au cardinal de Médicis, qui voulut, avant de les accorder, s’en entretenir avec les siens. Le cardinal de Médicis apprit, par de secrètes informations, que le parti français ne serait point unanime à voter en faveur de Jacobaccio, et lui refuserait trois ou quatre voix afin d’empêcher qu’il fût élu. Dès qu’il fut rassuré sur l’impossibilité de cette élection, que devaient repousser le cardinal Franciotto Orsini et les plus ardens des cardinaux français, il revit Pompeio Colonna. — « Que ferez-vous pour moi, lui demanda-t-il, si je donne au cardinal Jacobaccio les quatre voix dont il a besoin et s’il échoue malgré cette accession ? — Dans le cas où, par un accident quelconque, cette élection manquerait, répondit Pompeio Colonna, qui s’en croyait maintenant certain, je vous donnerai pour vous ou pour un de vos amis autant de voix que vous en aurez donné au cardinal Jacobaccio. »

Avertie des pourparlers de Colonna et de Médicis, la faction française, pour être plus sûre de déjouer l’arrangement conclu entre eux, résolut de retirer au cardinal Jacobaccio autant de voix que devait lui en apporter le parti des jeunes. Aussi, lorsqu’on dépouilla le scrutin, on n’y trouva que dix-huit voix en faveur du candidat dont l’élection était convenue et semblait assurée. À ces dix-huit voix s’adjoignirent par accès les quatre voix du cardinal de Médicis, ce qui n’en fit que vingt-deux. Colonna, outré du manque de parole qui avait empêché la nomination de Jacobaccio, le reprocha amèrement

  1. Dépêche du 2 décembre, r. 196, 197 et 198.