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cette science était tombée, rien d’important n’ayant paru depuis les Elémens d’Aldrich, publiés en 1692, et dans une critique attentive des nouveaux essais qu’il annonce, il se montre à la fois consommé dans l’histoire et la théorie de l’art puissant qui a dominé pendant plusieurs siècles la philosophie tout entière (1833). Ses preuves étaient donc faites, lorsque la vacance de la chaire de logique et de métaphysique, par la retraite volontaire du professeur Ritchie, au commencement de 1836, vint lui ouvrir une candidature naturelle dans l’université. C’est alors que les témoignages imposans du patriarche de l’histoire de la philosophie grecque, M. Brandis, et du maître éloquent qui guidait alors toute l’école française, l’œuvre de sa pensée et de sa parole, recommandèrent le savant candidat qu’appuyaient également le roi de la critique, lord Jeffrey, et cet ancien rival, le professeur Wilson, noblement supérieur à tout souvenir de lutte et de parti. De telles autorités ne touchaient que faiblement le conseil municipal de la nouvelle Athènes. Les passions politiques ne jouaient pourtant plus aucun rôle : la réforme avait dissous les partis ; mais la religion avait hérité de la politique ; la religion, cela veut dire en certains pays l’esprit ecclésiastique et en Écosse l’esprit de secte, ce qui signifie l’esprit de la secte dominante et des sectes militantes. Il faut lire dans un essai de M. Baynes, à qui nous ferons de nombreux emprunts[1], la description piquante des débats et des manœuvres qui signalèrent l’élection de Hamilton. Il n’appartenait pas à ces ardentes congrégations qui ont déclaré la guerre au libre arbitre, il n’était pas du parti évangélique, ni même de la portion de l’église établie que ce parti consentait à regarder comme encore amie de la religion ; il était chrétien et modéré. Le censeur de Schelling fut donc accusé d’être enclin au panthéisme germanique. Tandis qu’il avait à lutter contre un phrénologiste fort connu, George Combe, qui promettait, s’il était élu, de ménager les vieilles superstitions, on lui opposait M. Isaac Taylor, qui a écrit sur les matières religieuses avec un succès réel, et qu’un esprit élevé, mais vague, et un style éloquent avec un peu de déclamation qualifiaient incomplètement pour enseigner la logique avec rigueur et la métaphysique avec précision. Les discussions du conseil de ville, publiées comme toutes choses en ce pays, sont un curieux spécimen des préjugés et des subtilités du plus sincère fanatisme. On dit que l’excès même de l’ardente opposition qu’on fit à sir William finit par tourner en sa faveur, et au second tour de scrutin, il fut nommé à dix-huit voix contre quatorze. Les suffrages de quatre bourgeois de la cité sauvèrent la philosophie écossaise.

  1. Sir William Hamilton, by T. S. Baynes, Edinburgh Essays, 1857.